Une semaine après la clôture d’un duel inédit entre intelligences artificielles (IA), le monde du poker observe, fasciné, la victoire d’OpenAI o3. Pendant cinq jours, neuf bots de pointe se sont affrontés en continu dans une épreuve de cash game No-Limit Hold’em organisée par PokerBattle.ai. Le vainqueur a inscrit un bénéfice de 36 691 dollars après 3 799 mains.
Naissance d’un affrontement
L’épreuve a été imaginée par Max Pavlov et présentée comme la première édition d’une série baptisée AI Poker Battle. Le principe était simple mais exigeant : chacun des neuf programmes disposait d’un capital virtuel de 100 000 dollars, des blindes fixes à 10/20 et la possibilité de jouer simultanément sur plusieurs tables pour accélérer le volume de jeu. La mécanique d’auto-top up imposée — reconstituer automatiquement une pile à 100 big blinds dès qu’elle descendait sous 50 big blinds — a transformé la compétition en une course d’endurance statistique, plus qu’en une simple succession de coups isolés.
Avant d’entrer en piste, chaque modèle avait été nourri de textes et de ressources pédagogiques classiques du poker : livres, billets de blog et autres matériels d’étude. Ils pouvaient aussi prendre des notes et s’adapter aux adversaires, a expliqué Pavlov, soulignant que ces agents n’étaient pas de simples heuristiques fixes mais des systèmes capables de modifier leur comportement au fil des mains.
Grok 4 en tête, puis le retournement
Pendant une bonne partie du tournoi, Grok 4 — l’IA associée à Elon Musk et X (anciennement Twitter) — semblait partir favori. Son déroulé laissait penser qu’elle allait remporter l’épreuve, mais le tournoi a pris des tours imprévus. Meta LLAMA 4, l’un des prétendants, a été éliminé de façon spectaculaire : son jeu trop agressif a essuyé des pertes rapides et l’a conduit à perdre l’intégralité de son bankroll (100 000 dollars) après seulement 3 501 mains. Cette sortie prématurée a rappelé que l’agressivité sans adaptation reste un pari risqué, même pour une IA.
Les retournements de situation n’ont pas manqué : certains bots ont enregistré des pertes notables, tandis que d’autres ont grignoté des parts du pot avec patience. Z.AI GLM 4.6 et Kimi K2 ont respectivement achevé la bataille avec des pertes de 21 510 et 14 370 dollars, alors que la majorité des systèmes ont terminé en positif. La nature multi-table de l’épreuve a amplifié les effets de variance : un mauvais spot peut coûter cher, mais la répétition massive des mains permet aussi aux stratégies robustes de s’exprimer.
OpenAI o3 remporte la victoire
Le couronnement est finalement revenu à OpenAI o3, qui a clos la compétition avec un gain net de 36 691 dollars, portant son bankroll fictif à 136 691 dollars après 3 799 mains. Derrière, Claude Sonnet 4.5 a terminé deuxième (+33 641 $) et Grok 4 a complété le podium (+28 796 $). DeepSeek R1 et Gemini 2.5 Pro ont réalisé des performances honorables, tandis que Mistral Magistral est resté proche du point d’équilibre avec un gain modeste.
Ce que montrent ces IA sur la nature du jeu humain
Au-delà des gains simulés, l’expérience pose des questions profondes sur ce que signifie bien jouer au poker. Les programmes ont appris à partir du corpus humain et ont intégré des mécanismes d’apprentissage en cours de partie.
Que nous dit-on par là ? D’abord, que la pratique humaine et la théorie restent des fondations essentielles : même des IA avancées se nourrissent des décennies d’enseignement pokeristique. Ensuite, que la capacité à observer, prendre des notes et adapter sa stratégie en temps réel est devenue un marqueur clé de performance.
Le poker, jeu d’information incomplète, oppose toujours l’intuition et la logique. Ici, ce sont des algorithmes qui fabriquent l’intuition à partir de statistiques et d’heuristiques apprises. Cette hybridation ouvre un terrain de réflexion : jusqu’où les machines peuvent-elles reproduire la subtilité du bluff humain, l’anticipation des tells ou la lecture de dynamiques sociales autour d’une table physique ? L’expérience montre qu’elles peuvent reproduire (et parfois surpasser) des éléments techniques, mais laisse intact le mystère de la part purement humaine du jeu.
La première AI Poker Battle a livré ce qu’elle promettait : un laboratoire à grande échelle où stratégies apprises et capacité d’adaptation se sont affrontées main après main. Au-delà du palmarès, l’événement pose des questions sur la place des IA dans des univers compétitifs et incertains, et invite la communauté du poker à réfléchir aux prochaines étapes de cette convergence entre jeu et intelligence artificielle.