L’UKGC, la commission des jeux britanniques, est au cœur d’une controverse après les révélations d’un système opaque permettant à des opérateurs de jeux d’échapper à des sanctions publiques en échange de dons à des œuvres caritatives.
La Gambling Commission britannique (UKGC), autorité en charge de la régulation des jeux d’argent au Royaume-Uni, fait face à de vives critiques après des révélations sur une pratique jugée profondément opaque. Depuis cinq ans, pas moins de 38 opérateurs de paris auraient été placés sous un régime spécial de mesures confidentielles leur permettant d’échapper à des sanctions formelles – à condition de verser des fonds à des œuvres de charité.
Parmi les cas les plus choquants figure celui de Luke Ashton, un père de famille qui s’est suicidé à cause de son addiction au jeu. Une addiction non détectée par Betfair, alors sous ce régime de protection. Tandis que la Commission tente de se justifier, familles de victimes, parlementaires et associations réclament une réforme urgente fondée sur la transparence et la responsabilité.
Ces révélations, obtenues par The Observer grâce à une demande d’accès à l’information, interpelle sur l’efficacité et la transparence du régulateur.
2 millions de livres en échange de l’anonymat
Depuis 2020, les entreprises concernées ont versé au total environ 2 millions de livres sterling à des associations œuvrant à la réduction des dommages liés au jeu. Un chiffre dérisoire comparé aux 15,6 milliards de livres de revenus générés sur la même période par le secteur des jeux au Royaume-Uni.
Concrètement, les opérateurs ayant reconnu des manquements réglementaires pouvaient, grâce à cette procédure spéciale, éviter des mesures disciplinaires publiques en reversant les bénéfices concernés à des organisations caritatives. Le nom des sociétés restait confidentiel, ce qui, selon de nombreux observateurs, sape la mission même du régulateur.
Betfair, Flutter et le drame de Luke Ashton
L’affaire la plus symbolique de ce système est celle de Luke Ashton, un père de famille de 40 ans qui s’est suicidé en avril 2021 après être devenu dépendant aux jeux d’argent. Lors de l’enquête menée en 2023, il a été révélé que l’opérateur Betfair, propriété du géant Flutter, n’avait pas identifié Luke Ashton comme joueur à risque. Un manquement grave, dont les conséquences ont été dramatiques.
Ce n’est qu’après l’enquête que l’UKGC a admis que Betfair était placé sous mesures spéciales au moment du drame. L’opérateur avait évité toute sanction formelle en versant 635 123 £ à des œuvres caritatives, dans le cadre du régime confidentiel.
Depuis, Betfair affirme avoir renforcé ses dispositifs de protection des joueurs, mais pour la famille Ashton, le mal est fait.
“Spécial” ne doit pas signifier “protégé”
Annie Ashton, la veuve de Luke, dénonce fermement l’attitude de la Gambling Commission :
“La Commission est manifestement plus préoccupée par la réputation et la croissance des entreprises de jeux que par la protection des personnes vulnérables.”
Elle déplore que la répétition de ces accords secrets empêche toute prise de responsabilité réelle de la part des opérateurs, même lorsque les conséquences sont aussi tragiques que la mort d’un joueur.
“Les mesures spéciales ne doivent pas signifier une protection spéciale. Il faut une transparence totale.”
Mme Ashton révèle avoir rencontré Andrew Rhodes, directeur général de la UKGC, après la mort de son mari. Lors de cette rencontre, tenue avec d’autres familles endeuillées, elle affirme que Rhodes n’a jamais mentionné que Betfair était sous mesures spéciales au moment des faits. Un silence qui alimente encore davantage les soupçons de dissimulation.
Appels à la transparence
Les critiques ne se limitent pas aux proches des victimes. Don Foster, pair libéral-démocrate et président du groupe Peers for Gambling Reform, fustige la confidentialité des mesures :
“Il est totalement inacceptable que de telles pratiques aient lieu à huis clos. Cela ne protège pas les joueurs, c’est même tout le contraire.”
Matt Zarb-Cousin, directeur de l’organisation Clean Up Gambling, renchérit :
“Le public a le droit de savoir quels opérateurs ne respectent pas les règles de protection des consommateurs.”
Il exige que la Commission publie la liste complète des entreprises placées sous mesures spéciales, afin de permettre aux joueurs de faire des choix éclairés.
L’UKGC se défend mais ne convainc pas
Face à la tempête médiatique, l’UKGC tente de justifier sa politique. Elle affirme que, comme beaucoup d’autorités de régulation, elle dispose d’un éventail de mesures, dont certaines ne sont pas systématiquement rendues publiques, notamment lorsque le risque de préjudice pour les consommateurs est jugé faible ou inexistant.
Elle ajoute que l’historique réglementaire ne joue qu’un rôle mineur dans les choix des consommateurs en matière de jeux, et que des registres publics d’actions de régulation sont toujours disponibles. Une défense jugée insuffisante par de nombreux acteurs, tant la perception d’un traitement de faveur demeure forte.