À l’occasion de ses 5 ans, l’ANJ a organisé un colloque majeur pour renforcer la lutte contre l’addiction aux jeux d’argent. Experts et régulateurs ont appelé à une régulation plus proactive, misant sur l’IA, l’accompagnement personnalisé et des réformes législatives. L’objectif : bâtir un modèle français durable, centré sur la protection des joueurs.
Le 27 juin 2025, l’Autorité nationale des jeux (ANJ) a soufflé ses cinq bougies au Palais du Luxembourg. Plutôt qu’une simple célébration, l’événement a pris la forme d’un colloque majeur sur l’addiction aux jeux d’argent, intitulé «Addiction aux jeux d’argent : un enjeu collectif majeur». Cette journée dense et engagée a rassemblé chercheurs, régulateurs, professionnels du secteur, élus et acteurs de la santé publique pour dresser un bilan, identifier les freins et ouvrir des pistes concrètes d’amélioration.
À travers une approche comparée et des regards croisés, le colloque a acté un changement de paradigme : la régulation du secteur ne peut plus reposer sur des intérêts sectoriels cloisonnés, mais nécessite une mobilisation collective autour d’un objectif de santé publique.
De la croissance à la responsabilité
Dès l’introduction, Christine Lavarde, sénatrice des Hauts-de-Seine, a rappelé les deux faces du jeu : secteur économique dynamique et créateur d’emplois, mais aussi terrain à risque pour les dérives financières et les addictions. Elle a notamment pointé la stratégie de certains opérateurs qui utilisent des thématiques comme la biodiversité pour séduire les plus jeunes, ainsi que la montée des jeux web3, peu régulés.
Face à cela, Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de l’ANJ, a réaffirmé la volonté du régulateur de faire pivoter le modèle économique du secteur pour le rendre plus durable et moins dépendant des joueurs à risque. Ce pivot nécessite un changement structurel, fondé sur une meilleure identification des comportements problématiques et un accompagnement renforcé.
Le jeu excessif : des coûts sociaux lourds et invisibles
Les interventions de la première table ronde ont dressé un portrait saisissant du coût social des jeux d’argent. Selon les travaux présentés par Dominik Stroukal et l’équipe du LEM (Université de Lille), les jeux de hasard engendrent non seulement des coûts directs (médicaux, financiers) mais surtout des coûts intangibles élevés : détresse psychologique, souffrance des proches, perte de qualité de vie.
Le défi ? Mieux documenter ces coûts à travers une méthodologie robuste et intégrée aux conventions économiques françaises. Pour l’heure, la collecte de données reste encore trop lacunaire.
IA, algorithmes et prévention ciblée
La deuxième partie du colloque a mis l’accent sur l’identification des joueurs excessifs. Tous les intervenants s’accordent : malgré les efforts déployés, l’écart entre les chiffres déclarés par les opérateurs (30 000 joueurs identifiés) et ceux estimés par l’OFDT (370 000 joueurs problématiques) est alarmant.
L’IA est vue comme un levier prometteur. L’étude EDEIN, présentée par Gaëlle Challet et Bastien Perrot, vise à développer un modèle prédictif fondé sur les données de jeu, avec validation clinique. L’Espagne va même plus loin : dès 2026, les opérateurs devront utiliser un algorithme officiel de détection, intégrant plus de 80 variables.
La France emboîte le pas. L’ANJ finalisera d’ici fin 2025 son propre algorithme, destiné à l’ensemble du marché. Objectif : une mise en œuvre nationale en 2026.
L’accompagnement des joueurs à risque
Identifier les joueurs à risque ne suffit pas. Il faut les accompagner, et le plus tôt possible. C’est tout l’enjeu de la troisième table ronde, où les témoignages d’opérateurs (Barrière, FDJ), de cliniciens (ARPEJ, CSAPA) et de représentants institutionnels ont convergé : le lien de confiance, la personnalisation des messages, et l’interdisciplinarité sont les clés d’un accompagnement réussi.
Le programme SELF, proposé par ARPEJ, offre une solution innovante basée sur des autotests et un suivi numérique progressif. Les résultats sont encourageants : 60 % des participants deviennent abstinents à six mois.
Mais les professionnels tirent aussi la sonnette d’alarme : les mineurs accédant aux jeux via des comptes d’adultes posent un problème de plus en plus courant.
Réformes à venir
Dans son discours de clôture, Isabelle Falque-Pierrotin a proposé plusieurs pistes pour faire évoluer la régulation :
- Renforcement de la recherche : une réforme du financement des études est en discussion, avec une dotation augmentée confiée directement à l’OFDT.
- Meilleure identification en points de vente : une expérimentation de jeu identifié est en cours, et la création d’une carte joueur ou QR code est envisagée à l’instar des pays nordiques.
- Répression accrue : en 2026, l’ANJ entend renforcer ses contrôles et les sanctions pour forcer les opérateurs à s’engager.
- Évolution du cadre législatif : un encadrement plus strict de la publicité, du sponsoring et l’introduction d’un limiteur de perte pour les 18-25 ans figurent parmi les propositions fortes.
Une ambition : bâtir un modèle français durable
L’ambition de l’ANJ est claire : bâtir un modèle français du jeu d’argent plus responsable, plus inclusif et plus durable. L’échéance de la Coupe du monde de football 2026 est perçue comme une opportunité de frapper fort avec une campagne nationale de sensibilisation.
Mais au-delà des outils techniques et des textes législatifs, le vrai changement est culturel. Détruire le mythe de l’argent facile, repositionner le jeu comme un divertissement, non un enjeu de performance, et retisser les liens entre acteurs économiques, institutionnels et associatifs : tels sont les véritables piliers d’un modèle d’avenir.