Après six années de procédure et de rebondissements judiciaires, l’affaire du casino de Boulogne-sur-Mer connaît enfin son épilogue. Le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative française, a tranché : la ville obtient gain de cause face au groupe Partouche.
Aux origines d’un conflit ancien
Pendant trente-trois ans, le casino de Boulogne-sur-Mer a été exploité par le groupe Partouche. Cette longue collaboration s’inscrivait dans le cadre d’une délégation de service public, renouvelée périodiquement par la municipalité. Mais en 2019, lors de l’échéance du contrat, la ville choisit de changer de cap. À l’issue d’un appel d’offres, la concession est attribuée à un concurrent, le groupe belge Golden Palace, pour une durée allant jusqu’en 2031.
Ce choix marque une rupture nette avec l’opérateur historique. Pour Partouche Immobilier, société propriétaire du bâtiment abritant le casino et signataire d’un bail courant jusqu’en 2035, la décision est lourde de conséquences. L’entreprise estime alors subir un préjudice économique majeur et décide de porter l’affaire devant la justice administrative.
La procédure engagée par Partouche Immobilier vise plusieurs objectifs. D’abord, l’annulation de la délibération du conseil municipal ayant acté la résiliation de la convention d’occupation temporaire du domaine public. Ensuite, l’obtention d’une indemnisation conséquente. Le groupe réclame près de 13 millions d’euros, invoquant un préjudice économique lié à la perte anticipée de l’exploitation.
Derrière ces montants se joue une question centrale : celle de la nature juridique du bâtiment du casino. Est-il un bien appartenant à l’opérateur privé ou un « bien de retour », destiné à revenir dans le patrimoine de la collectivité à la fin du contrat ? Cette interrogation sera au cœur des débats pendant plusieurs années.
Une première décision, puis l’escalade judiciaire
Le 6 juillet 2021, le tribunal administratif de Lille rend une première décision. Il reconnaît partiellement les arguments de Partouche Immobilier et condamne la ville de Boulogne-sur-Mer à verser 1,9 million d’euros. Cette somme correspond à la valeur nette comptable du bien, principe appliqué lorsque ce type de contrat prend fin avant son terme.
À l’époque, le maire de Boulogne-sur-Mer, Frédéric Cuvillier, assume cette estimation. Mais pour le groupe Partouche, cette décision est loin d’être satisfaisante. L’entreprise fait appel et revoit largement ses prétentions à la hausse.
Devant la cour administrative d’appel de Douai, le casinotier réclame désormais près de 20 millions d’euros. Le calcul inclut non seulement le manque à gagner lié à la perte de l’exploitation, mais aussi les loyers perçus par la ville dans le cadre du nouveau contrat conclu avec Golden Palace.
Le tournant décisif de 2025
Le 2 avril 2025 marque un tournant majeur dans ce dossier. La cour administrative d’appel de Douai rejette l’ensemble des requêtes de la société Partouche Immobilier. Une décision claire, qui conforte la position de la municipalité et invalide les demandes financières du groupe.
Refusant de s’arrêter là, Partouche envisage alors un pourvoi en cassation. L’affaire se retrouve portée devant le Conseil d’État, ultime recours possible dans l’ordre administratif. La question est simple mais déterminante : la haute juridiction acceptera-t-elle d’examiner le dossier une nouvelle fois ?
La réponse tombe ce jeudi. Le Conseil d’État refuse le pourvoi. Par cette décision, il valide implicitement l’arrêt rendu à Douai et met fin à la procédure.
Le soulagement de la municipalité
Pour la ville de Boulogne-sur-Mer, ce refus marque la fin d’un contentieux long et coûteux, tant financièrement que politiquement. Dans un communiqué, le maire Frédéric Cuvillier ne cache pas son soulagement et insiste sur la portée juridique du jugement.
Cette reconnaissance du caractère public du bâtiment est centrale. Elle signifie que la ville était dans son droit en récupérant l’usage du casino et en confiant son exploitation à un nouvel opérateur.
La décision du Conseil d’État dans le dossier boulonnais fait écho à une autre affaire impliquant également le groupe Partouche : celle du casino de Berck. Si les deux dossiers sont souvent rapprochés, ils reposent pourtant sur des fondements juridiques différents.
À Boulogne-sur-Mer, le litige portait essentiellement sur la rupture du bail et ses conséquences économiques. À Berck, la contestation concerne directement la propriété du bâtiment. Là encore, le Conseil d’État s’est prononcé, le 17 juillet, en donnant raison à la commune. La haute juridiction a estimé que l’édifice constituait un bien de retour, devant devenir la propriété de la ville à compter du 1er janvier 2026.
Toutefois, contrairement au dossier boulonnais, l’affaire berckoise n’est pas totalement close. La société Partouche a saisi un juge des référés, ce qui a pour effet de geler les actes notariés en attendant une nouvelle décision judiciaire.