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Cresus Casino : les dessous d’un géant illégal

Derrière les façades ensoleillées d’une start-up installée à Chypre, la justice française soupçonne l’existence d’une machine clandestine dont l’ampleur dépasse tout ce que le pays a connu en matière de casinos illégaux. Cresus Casino, plateforme très populaire auprès des joueurs français, aurait généré près d’un milliard d’euros depuis 2021. 

Un casino clandestin déguisé en start-up paradisiaque

Au printemps 2024, l’entreprise Tech4S, basée à Limassol, affichait encore fièrement sa certification Great Place to Work. Les salariés, presque tous trentenaires, travaillaient en bermudas, déjeunaient gratuitement, voyageaient aux frais de la société et recevaient même une enveloppe annuelle destinée à leur développement personnel. L’image était léchée, presque idyllique.

Pourtant, selon les enquêteurs français, cette société n’était que la façade opérationnelle d’un vaste réseau lié à Cresus Casino, un site de jeux d’argent interdit en France. Derrière les murs vitrés et les open spaces lumineux se serait organisée une activité illégale ciblant essentiellement les joueurs hexagonaux.

En septembre 2025, après une perquisition éclair, les employés francophones apprennent leur licenciement immédiat lors d’une visioconférence expédiée en quelques minutes. La messagerie interne s’éteint. Les ordinateurs se verrouillent à distance. En quarante-huit heures, Tech4S est liquidée comme si elle n’avait jamais existé.

Les deux Français soupçonnés d’être aux commandes

Le 8 octobre, à Paris, deux hommes sont mis en examen : Grégoire A., 41 ans, ancien croupier devenu joueur professionnel, connu pour avoir remporté un tournoi d’un million de dollars à Chypre en 2023, et Victor T., 36 ans, un Lyonnais qu’il a rencontré à Malte, autre paradis du jeu numérique.

Ils sont suspectés d’avoir piloté depuis Chypre l’un des plus vastes casinos illégaux opérant en France. Leur plateforme aurait attiré jusqu’à 1 million de visiteurs mensuels, dont 100 000 joueurs actifs.  Les deux hommes affirment avoir navigué dans une zone grise juridique.

La France est l’un des rares pays européens, avec Chypre, à interdire formellement les casinos numériques. Pourtant, l’offre clandestine s’est multipliée : près de 1 300 sites ont été bloqués en 2024 par l’Autorité nationale des Jeux (ANJ). La demande explose : selon les estimations, 5,4 millions de Français auraient joué sur des plateformes non autorisées au cours de l’année précédente.

Dans ce contexte, l’affaire Cresus constitue une première. Pour Stéphane Piallat, chef du Service central des courses et jeux, cette enquête dévoile la nature très professionnelle de l’offre illégale et ses stratégies de contournement.

Le blocage du site et la riposte immédiate de l’organisation

Cresus Casino attire l’attention de l’ANJ au printemps 2024. Avec 2 500 jeux, des parties en direct, des animatrices en studio, des bonus sophistiqués, des dépôts en cryptomonnaie et un service client en français, la plateforme a tout d’un casino haut de gamme… sauf la légalité.

Les avertissements de l’ANJ restent lettre morte. En mai, le site est bloqué en France. L’organisation réplique aussitôt : sites miroirs, nouvelles URL, SMS envoyés aux joueurs, contournements techniques. Une mécanique bien rodée.

En juillet 2024, l’ANJ signale ces activités au parquet de Paris, déclenchant l’enquête qui mènera aux arrestations d’octobre 2025.

Le coeur de l’enquête

Les enquêteurs plongent dans les forums spécialisés. Les témoignages affluent : retraits impossibles, gains bloqués, comptes suspendus. Certains internautes sont invités à porter plainte.

Un renseignement anonyme désigne Grégoire A. comme l’un des responsables. Puis, une interview vidéo tournée sur un site de poker ressurgit. Installé dans un fauteuil, verre de vin à la main, tee-shirt rayé, il raconte être PDG d’une entreprise ayant conçu entre dix et vingt casinos en ligne. Cette vidéo deviendra un élément clé du dossier.

Il plaisante : « Si c’est moi qui gère la thune, il n’y a plus de boîte. » 

Les policiers infiltrent la plateforme en se faisant passer pour des joueurs. Les dépôts se retrouvent sur un compte tchèque appartenant à une société chypriote.

La hot-line surveillée révèle une réalité plus sombre : appels paniqués, menaces de suicide. Une employée contacte les pompiers du sud de la France, mais confesse ne pas pouvoir dévoiler le pays d’où elle appelle.

Le site dispose d’un club VIP réservé aux 5 000 joueurs ayant payé un droit d’entrée de 2 000 euros. En échange, des attentions luxueuses : colis gastronomiques, champagne, cartes cadeaux. Sur écoute, une opératrice relance un joueur inactif :

 « Je peux vous mettre un bonus si vous rejouez. »

Pour les enquêteurs, ce système dévoile une logique commerciale comparable à celle des casinos physiques, mais sans aucun contrôle légal.

Un autre maillon du système repose sur des influenceurs. Certains sont rémunérés en proportion des pertes des joueurs qu’ils recrutent. L’un des plus visibles, ancien chauffeur routier devenu streameur à Malte, revendique plus de 800 000 abonnés. Il promet des gains colossaux et raconte être passé d’interdit bancaire à millionnaire.

Les perquisitions internationales

En septembre 2025, des opérations conjointes sont menées à Chypre, Malte et en France. Les enquêteurs découvrent des documents comptables estimant les bénéfices à 350 millions d’euros depuis 2020.

Surtout, ils identifient d’autres casinos liés au même groupe : Jackpot Bob, Lucky8, Casino Privé, Olympe Casino.

Les deux Français affirment ne pas être les véritables têtes du réseau. Selon eux, des investisseurs scandinaves basés à Dubaï piloteraient l’ensemble. Ces financiers auraient déjà travaillé pour des entreprises légales de jeux en ligne dans le nord de l’Europe.

Un expert du secteur confirme qu’il existe des acteurs présents à la fois dans le légal et l’illégal. Il rappelle que, dès 2024, une filiale du groupe Kindred — racheté par la Française des Jeux — fournissait des jeux à Cresus, illustrant les zones grises d’un marché mondial très mouvant.

Pour l’heure, aucun lien avec le crime organisé n’a été établi.

Les débats judiciaires en cours

L’avocat de Grégoire A., Me Philippe Ohayon, conteste la qualification d’escroquerie. Selon lui, elle aurait été utilisée abusivement afin de justifier des moyens d’enquête exceptionnels et de faciliter la coopération internationale.

Les investigations continuent, mais l’affaire Cresus a déjà mis au jour les coulisses d’une industrie illégale parfaitement structurée, capable de viser un pays entier à partir d’un bureau ensoleillé à l’autre bout de l’Europe.

Alex: Alex explore le monde des casinos à travers des articles informatifs et divertissants. Nourri par une passion profonde pour l'art et la télévision, chaque texte témoigne d'une attention particulière aux détails et d'une quête d’équilibre entre rigueur et créativité. Que ce soit pour démystifier des stratégies de jeu ou raconter l’histoire fascinante des casinos, son objectif est d'informer tout en captivant ses lecteurs.
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