Le jeu en ligne illégal connaît en France une expansion fulgurante. En 2025, plus de 5,4 millions de joueurs se sont laissés tenter par des casinos virtuels non autorisés, souvent sans même savoir qu’ils enfreignaient la loi.
Une explosion silencieuse du jeu clandestin
Roulette, blackjack, machines à sous et paris virtuels : les casinos en ligne illégaux n’ont jamais autant attiré les Français. Selon le baromètre 2025 de l’AFJEL (Association française des jeux en ligne), révélé en exclusivité dans Le Parisien, 5,4 millions de joueurs fréquentent désormais ces plateformes chaque mois. Un chiffre vertigineux, en hausse de 35 % en deux ans, qui confirme la montée en puissance d’un marché parallèle estimé à 2 milliards d’euros de produit brut des jeux (PBJ).
Nicolas Béraud, président de l’AFJEL :
“Cette explosion de 35 % en deux ans est liée à une difficulté croissante à bloquer ces casinos populaires car nous nous sommes réveillés un peu tard face à des sites ou des applications faciles à trouver sur Internet et les magasins d’applications.”
Basés à l’étranger, souvent dans des paradis fiscaux, ces casinos virtuels prospèrent dans un vide juridique français. En Europe, seule la France, avec Chypre, interdit encore totalement les casinos en ligne. Résultat : plus de 500 plateformes illégales opèrent dans l’Hexagone, dont plus de la moitié dédiées aux jeux de casino.
Leur marketing est redoutable. Publicités ciblées sur les réseaux sociaux, influenceurs vantant leurs gains, codes promotionnels diffusés sur Telegram… tout concourt à banaliser une pratique pourtant interdite. Selon l’étude AFJEL, 82 % des joueurs ignorent qu’ils jouent dans l’illégalité.
Emmanuel Benoit, directeur général de l’Association de recherche et de prévention des excès du jeu :
“Ces casinos sont établis dans des paradis fiscaux sans vraiment de législation et les opérateurs illicites ne tiennent pas compte des risques de jeu excessif.”
Un désastre sanitaire et social
Derrière les lumières clinquantes de ces plateformes se cache un drame collectif. L’étude révèle que 62 % des joueurs sur le marché illégal présentent des signes d’addiction. Cela représente plus de 3 millions de Français en situation de dépendance, souvent sans accompagnement ni cadre de prévention. Un phénomène amplifié par la solitude et la facilité d’accès : un simple smartphone suffit pour miser jour et nuit, sans limites ni contrôle.
Au-delà de l’addiction, la menace s’étend au domaine numérique. 70 % des joueurs conscients de jouer sur des sites illégaux ont été victimes d’arnaques, de piratages ou de vols de données. Les plateformes illégales, souvent hébergées dans des zones opaques, servent aussi de vecteurs à des cybercriminels.
Les témoignages abondent : comptes bancaires siphonnés, identités volées, données revendues sur le dark web. Et sans recours possible.
Un gouffre pour les finances publiques
L’État n’est pas épargné. Selon le rapport AFJEL 2025, 1,2 milliard d’euros échappent chaque année au fisc — une hausse de 30 % par rapport à 2023. Une manne considérable pour un budget public déjà sous tension.
Des ripostes, mais encore trop timides
Les autorités n’ont pas totalement baissé les bras. Depuis 2022, l’Autorité nationale des jeux (ANJ) a renforcé ses moyens d’action : 1 337 sites bloqués en 2024, et déjà 1 000 supplémentaires depuis janvier 2025.
L’affaire récente du démantèlement du réseau de casinos Cresus a toutefois marqué un tournant. Grâce à une meilleure coordination entre l’ANJ, la police judiciaire et la justice, des dizaines de comptes bancaires ont été gelés et plusieurs influenceurs poursuivis.
Nicolas Béraud :
“Il manque encore des moyens pour bloquer tous les sites, poursuivre les dirigeants et surtout désactiver les méthodes de paiement. Cela freinerait le développement de ces casinos.”
Un défi de régulation pour la France
Pourquoi la France reste-t-elle un terrain si fertile pour ces sites ? En grande partie à cause d’un vide juridique. Contrairement au poker ou aux paris sportifs, les casinos en ligne ne sont tout simplement pas régulés. L’État avait envisagé une ouverture encadrée en 2024, mais la pression des casinos physiques a mis fin au projet.
Pourtant, la question revient sur la table. Certains experts estiment qu’une légalisation partielle, assortie d’un encadrement strict, pourrait réduire l’attrait du marché noir tout en générant des recettes fiscales.
Face à l’ampleur du phénomène, l’État, les opérateurs et les associations s’accordent sur une chose : il faut agir, vite. Le fléau du jeu illégal touche désormais toutes les classes sociales, tous les âges, et s’immisce jusque dans les sphères familiales. L’AFJEL appelle à une mobilisation collective, associant l’éducation numérique, la prévention des addictions et une coopération renforcée avec les géants du Web.