Depuis près de deux décennies, l’Italie vit un marché des jeux d’argent morose, tiraillé entre restrictions réglementaires rigides, fragmentation des opérateurs et retards d’adaptation aux réalités numériques. Or, fin 2025, un virage réglementaire majeur pourrait bien transformer le paysage.
Le renouveau des licences : triple effet
L’Agence des Douanes et Monopoles (ADM) italienne a prolongé jusqu’au 12 novembre 2025 le processus d’octroi des nouvelles licences de jeux en ligne, initialement prévu pour septembre. Ce délai supplémentaire vise à garantir une évaluation rigoureuse des dossiers et une vérification solide de l’éligibilité des candidats.
Mêmement, le coût initial pour obtenir une licence en ligne s’élève désormais à 7 millions d’euros, contre seulement 200 000 € sept ans plus tôt. Ces frais s’accompagnent de normes de conformité et de technique beaucoup plus exigeantes, avec l’objectif officiel de limiter le nombre d’opérateurs pour favoriser la stabilité et la qualité du marché.
Marchés concentrés, marques uniques
Au cœur de la réforme : la fin des “skins” — ces multiples marques sous une même licence — au profit d’un modèle à licence par domaine. Le nombre de sites actifs pourrait chuter drastiquement : d’environ 420 actuellement à une cinquantaine. L’idée est claire : favoriser les opérateurs capables d’investir, d’assurer conformité, technologie, marketing, et souvent d’être “omnicanal” (en ligne + points de vente physiques).
Fiscalité, protection du joueur et obligations accrues
Parallèlement à la réforme des licences, l’Italie resserre son cadre fiscal et ses normes de protection des consommateurs. Le taux fiscal sur le chiffre brut des jeux (Gross Gaming Revenue, GGR) sera élevé à 24,5 % pour les paris sportifs en ligne, 25,5 % pour les casinos en ligne. Des frais additionnels : 3 % du GGR pour financer l’activité réglementaire, et 0,2 % (avec plafond à 1 million €) pour les campagnes de jeu responsable.
Sur le plan des normes techniques, les plateformes devront se connecter au système central de surveillance de l’ADM, qui utilisera des outils de conformité automatisés (IA), des logs inviolables, etc. Des mesures spécifiques viseront les jeunes de 18 à 24 ans, avec des contrôles et alertes automatiques pour limiter les comportements à risque.
Sponsoring sportif : vers un retour en arrière ?
L’un des volets les plus controversés de la réforme concerne la potentielle levée de l’interdiction des pratiques de sponsoring par les opérateurs de jeux de hasard.
Depuis 2018, le Dignity Decree interdit la publicité pour les jeux de hasard et le sponsoring sportif. Il s’agissait d’une mesure populiste pour limiter les effets sociaux du jeu. Mais, selon certains acteurs, cela a eu des effets pervers : perturbation des revenus des clubs sportifs, développement d’opérateurs non autorisés qui ne sont pas soumis aux mêmes règles.
Andrea Abodi, ministre des Sports, propose un nouveau décret visant à réautoriser le sponsoring pour les opérateurs licenciés. Ce système inclurait une taxe de 1 % sur les revenus tirés du sponsoring, destinée au développement des infrastructures sportives, du sport féminin et des jeunes. Les clubs de football et fédérations voient dans ce potentiel retour un soulagement : selon LOGiCO et la Lega Serie A, la ligue perdrait jusqu’à 100 millions d’euros par an du fait de l’interdiction actuelle.
Cependant, les inquiétudes subsistent parmi les autorités sanitaires, lesquelles redoutent une normalisation de la promotion du jeu et ses effets sur les populations vulnérables.
Le secteur terrestre
Si la réforme des jeux en ligne est bien engagée, le secteur “physique” (casinos, points de vente, salles de jeux) attend encore ses grands changements. Le gouvernement prévoit des réformes telles que :
- une licence unifiée pour les opérateurs de détail,
- des règles plus strictes concernant l’emplacement des établissements,
- un contrôle d’identité obligatoire,
- des systèmes d’auto-exclusion,
- une limite hebdomadaire de 100 € sur les dépôts en espèces.
Mais ces changements sont repoussés à mi-2026, en partie à cause des négociations avec les autorités régionales sur la mise en œuvre et le financement.
Quelle taille pour le nouveau marché italien ?
L’évolution réglementaire s’accompagne de prévisions ambitieuses. Le secteur en ligne pourrait générer plus de 5,5 milliards d’euros de GGR par an une fois le nouveau régime pleinement en œuvre — autour de mars 2026. En 2024, l’ensemble du marché italien des jeux avait déjà atteint 21,6 milliards d’euros, dont 5 milliards provenant du numérique.
Les experts estiment qu’après l’achèvement de la transition, 30 à 35 entreprises domineront le marché régulé, avec quelques-unes générant 80 % du GGR en ligne.
L’Italie semble enfin prête pour une transformation profonde de son marché des jeux d’argent, particulièrement en ligne. Entre la rigueur, la qualité des opérateurs, des protections accrues pour les joueurs, et un retour possible au sponsoring, le secteur pourrait sortir d’une longue période de stagnation. Si tout se déroule comme prévu, 2026 pourrait marquer le point de départ d’une nouvelle ère, celle d’un marché réglementé, concentré, mais plus sûr et potentiellement plus rentable — pour les entreprises et pour la société.