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Quand la Belgique sombre dans la dépendance au pari

En Belgique, un phénomène discret mais croissant s’impose : la montée alarmante de la dépendance au jeu, particulièrement en ligne. Des experts tirent la sonnette d’alarme alors que les chiffres montrent une situation de plus en plus préoccupante. 

Les racines de l’épidémie

L’actuelle crise du jeu en Belgique puise ses racines dans plusieurs évolutions majeures. D’abord, la régulation du jeu en ligne et de la publicité en 2010 a ouvert de nouveaux canaux à la consommation de jeux d’argent, modifiant peu à peu le paysage national. 

Ensuite, la pandémie de Covid-19 a bouleversé les repères : le confinement, l’isolement et le recours accru aux écrans ont offert un terreau fertile à l’essor des jeux en ligne. Comme le souligne Hélène Key, responsable à l’association de soin aux addictions SolutionS à Anvers :

“Quand j’ai commencé, nous recevions peut-être une demande par mois pour une addiction au jeu. Aujourd’hui, nous en recevons entre dix et quinze. Rien que cette semaine, j’ai reçu trois nouveaux dossiers. Le problème du jeu connaît une croissance explosive.”

Par ailleurs, une enquête de Sciensano, l’institut belge de santé publique, révèle que près d’un Belge sur trois (31,9 %) a joué au moins une fois en 2023-2024 — et que le jeu en ligne a quasiment doublé en cinq ans, passant de 7,9 % à 14,8 % des joueurs.

Ces indicateurs montrent que, même si l’usage global du jeu ne varie pas fortement, la nature de ce jeu a radicalement évolué.

Qui est concerné ?

L’extension de ce phénomène dépasse le cliché du joueur isolé : elle touche toutes les couches de la société. Cette généralisation s’ajoute à une menace particulière : les jeunes adultes (18-24 ans) sont plus vulnérables. L’étude Sciensano indique que cette tranche d’âge présente le taux le plus élevé de risque dans les joueurs à problème, 2,6 % de la population belge étant considérée à risque, dont 0,6 % à haut risque.

La conjonction entre jeu en ligne, publicité omniprésente, sponsors sportifs et réseaux sociaux rend l’accès à ces plateformes quasiment banal pour une partie de la jeunesse. Dans cette ambiance, l’appel à la vigilance des spécialistes sonne comme un avertissement à ne plus ignorer.

Les limites des mesures actuelles

La Belgique a entrepris plusieurs réformes pour contrer ce phénomène : le passage de l’âge légal de participation aux jeux en ligne à 21 ans (depuis septembre 2024) et l’instauration de modes d’exclusion volontaire tels que le registre EPIS. Pourtant, ces mesures paraissent insuffisantes ou mal appliquées. Selon Bram Constandt, professeur en management du sport à l’Université de Gand :

“Il est trop facile de se concentrer sur les 1 % de personnes fortement dépendantes. Il s’agit d’un problème de santé publique. Les dommages touchent toutes les couches de la société.”

Et c’est bien cette fragmentation de l’approche qui affaiblit l’efficacité : plutôt que d’englober l’ensemble des joueurs à risque, on en reste à des mesures ciblées ou partielles.

De plus, le régulateur national, la Commission des jeux de hasard (CJH), reconnaît aujourd’hui être dépassé : en 2024, la commission ne comptait que 38,3 équivalents temps plein pour assurer son rôle, alors que 57 étaient prévus dans le plan de dotation.

Les contrôles, selon les experts, sont donc trop faibles, tandis que les entreprises de jeu contournent les interdictions de sponsoring dans le sport, notamment via des « back-door » publicitaires.

En somme, la structure mise en place ne suit pas la vitesse de croissance du phénomène.

L’invisible marché illégal

Un aspect clé de cette crise est le développement… invisible des plateformes illégales. Une enquête de la fédération professionnelle BAGO indique que de nombreux joueurs belges utilisent des sites de jeu non autorisés ; parmi ceux inscrits au registre d’exclusion EPIS, certains continuent pourtant à jouer via ces plateformes hors-réglementation. Ces sites illégaux n’offrent aucune protection réelle : pas de limites de dépôt, pas de contrôle d’âge fiable, pas d’intégration au système d’exclusion. Le danger y est donc bien plus élevé.

Un autre indicateur marque la gravité de la situation : au 1er novembre 2025, la Belgique comptait 194 108 personnes inscrites dans le système EPIS, un record. Cela signifie que malgré tous les efforts, les mécanismes de filtrage et d’accompagnement restent largement contournés par cette industrie parallèle.

Le constat est clair : ce n’est pas seulement le joueur isolé qui est concerné, mais l’ensemble de la société. Et ce sont des réponses globales, coordonnées et rapides qui doivent être mises en œuvre pour stopper cette épidémie silencieuse. La Belgique, jusque-là souvent perçue comme un pays vigilant, doit désormais faire preuve de plus d’audace et d’efficacité pour protéger ses citoyens.

Caroline: Caroline est spécialisée dans l'industrie des casinos, où elle allie une connaissance approfondie du secteur du jeu en France et une passion pour les innovations numériques. Elle explore les changements qui révolutionnent cette industrie, depuis l'intégration de l'intelligence artificielle dans l'expérience utilisateur et les analyses de données jusqu'aux technologies de blockchain qui renforcent la sécurité et la transparence des transactions. Curieuse et engagée, elle s’intéresse particulièrement aux solutions de jeu responsable et aux nouvelles régulations, abordant des sujets aussi variés que la protection des joueurs, la gestion des comportements à risque, et l'importance des pratiques éthiques. Grâce à ses articles fouillés et accessibles, Caroline permet aux lecteurs de mieux saisir les tendances, les innovations et les défis d'une industrie en constante mutation. Elle prend soin de démystifier les nouvelles technologies et de faire le lien entre les avancées techniques et leurs implications concrètes pour les joueurs et les opérateurs. Son objectif ? Offrir une vision éclairée et équilibrée sur un secteur en pleine transition, entre tradition et modernité, tout en contribuant à un dialogue autour d’un jeu plus responsable et sécurisé.
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