Dans la rue de l’Université, à Liège, une vitrine de l’enseigne de paris sportifs Ladbrokes attire tous les regards. Sur la façade, des gélules factices enferment des ballons de football. Le slogan interpelle : “Une dose de football ? Sans ordonnance, posologie 90 minutes, à renouveler chaque semaine.”
Un contexte de restrictions publicitaires
Depuis fin 2022, l’État belge a entrepris de limiter drastiquement la publicité pour les jeux de hasard. Ces mesures s’appuient sur un constat alarmant : près de 40 % du chiffre d’affaires de ce secteur provient de joueurs dits “problématiques”. La proportion serait encore plus élevée pour les paris sportifs.
Les communes, elles aussi, cherchent à agir, notamment en encadrant l’implantation de points de vente près des écoles.
Les critiques des professionnels de santé
Au centre Alfa Liège, spécialisé dans l’accompagnement des personnes dépendantes, la réaction est sans appel.
“‘Une dose’ est un terme employé par le public toxicomanes; ‘avoir sa dose’. Le fait de mentionner ‘sans ordonnance’ relève de la banalisation et sous-entend que ce n’est pas dangereux pour la santé puisque l’on n’a, dit-on, pas besoin d’un avis médical. Le terme ‘posologie’ renvoie à un terme médical de dosage et fréquence (90 min, chaque semaine…) à respecter. L’image de gélules fait aussi référence aux soins, suggérant l’importance d’aller jusqu’au bout (tous les matchs) comme on termine une plaquette d’antibiotiques!” explique Martine Grooten, du Service Thérapeutique.
À Liège, les associations rappellent que la dépendance aux jeux ne touche pas seulement les joueurs, mais aussi leurs familles. Le centre Alfa propose une prise en charge psychologique et sociale, soulignant que le problème ne se limite pas aux casinos ou aux jeux en ligne. Les paris sportifs, de plus en plus populaires, deviennent un terrain sensible où la frontière entre loisir et compulsion se brouille rapidement.
Une série de polémiques
Ladbrokes se retrouve régulièrement au cœur de polémiques liées à ses campagnes publicitaires, accusées de franchir les lignes acceptables en termes de protection des mineurs. Par exemple, la publicité Ladbucks, lancée en décembre 2024, a été interdite au Royaume-Uni par l’Advertising Standards Authority (ASA) parce qu’elle utilisait un vocabulaire et des visuels proches de ceux des monnaies virtuelles de jeux vidéo populaires chez les jeunes, comme les V-Bucks ou les Robux. L’ASA a jugé que ces éléments — des pièces brillantes, une arcade de jeux gratuits, des récompenses — étaient susceptibles d’attirer fortement les moins de 18 ans.
Un autre exemple : des parents ont dénoncé l’apparition d’annonces de Ladbrokes dans l’application de babyphone/moniteur vidéo YCC365 Plus, utilisée pour surveiller les bébés. Voir ce type de publicité dans un environnement aussi intimement lié à la surveillance d’enfants a provoqué une vive réaction. Ces pubs proposaient, entre autres, un bonus de bienvenue, ce qui choque encore davantage lorsqu’on les découvre dans des espaces supposément exempts de toute sollicitation commerciale liée aux jeux de hasard.
Ces cas illustrent une tension structurelle : d’un côté Ladbrokes affirme respecter la réglementation (et parfois aller au-delà) en matière de jeu responsable et de protection des mineurs, de l’autre, ses choix de publicité sont jugés par certains comme imprudents, voire incitatifs pour des publics vulnérables.
La publicité de Ladbrokes dans la rue de l’Université a provoqué un débat. Elle pose une question de fond : jusqu’où peut-on aller dans la créativité publicitaire sans alimenter un problème de santé publique ?