Le 21 octobre 2025, la rumeur est devenue scandale : le géant britannique Playtech Plc (via sa filiale) serait à l’origine d’une campagne de surveillance secrète visant son concurrent américain-suédois Evolution AB. L’affaire s’est révélée par des documents judiciaires américains, confirmant que Playtech aurait engagé l’agence d’intelligence privée israélienne Black Cube pour investiguer sur les pratiques d’Evolution.
Origines et déclenchement de l’affaire
Le conflit remonte officiellement à décembre 2020, lorsque Playtech aurait, selon Evolution, commencé à travailler avec Black Cube afin de produire un dossier d’investigation contre Evolution. Ce dossier – transmis à un cabinet d’avocats américain (Calcagni & Kanefsky LLP) – visait notamment à alerter les autorités de régulation sur des activités supposées d’Evolution dans des marchés prohibés ou non autorisés.
L’agence Black Cube, fondée par d’anciens officiers du renseignement israélien, aurait procédé entre 2021 et 2024 à des enregistrements clandestins, des identités falsifiées et des rencontres sous faux-prétexte avec des employés ou anciens employés d’Evolution. Le montant payé par Playtech pour cette mission est estimé à plus de 1,8 million de livres sterling.
Pour Evolution, ce dossier n’était rien d’autre qu’une machination visant à détruire sa réputation. Pour Playtech, la démarche était justifiée comme une enquête légitime sur des préoccupations crédibles et répétées concernant les activités d’Evolution sur des marchés interdits ou sous sanctions. Dans tous les cas, l’intrigue était lancée.
Deux versions s’affrontent
Les accusations d’Evolution sont aussi précises que sévères : le rapport commandé par Playtech via Black Cube contiendrait des allégations hautement incendiaires et sciemment fausses, selon la société suédoise. Parmi les exemples cités : la mise à disposition des jeux d’Evolution dans des pays sanctionnés (Iran, Chine), la fourniture de services à des opérateurs non autorisés dans des juridictions régulées.
Le résultat ? Le dossier a été transmis aux autorités de régulation de New Jersey et de Pennsylvanie, mais en 2024, la Division of Gaming Enforcement du New Jersey a conclu que le rapport était objectivement sans fondement.
De son côté, Playtech rejette l’idée d’une campagne de dénigrement. Elle maintient que l’enquête visait à éclaircir des questions de conformité. Mais les faits sont lourds : la cour supérieure du New Jersey a ordonné en septembre 2025 que Black Cube révèle l’identité de son client, ce qui a permis d’identifier officiellement Playtech comme commanditaire.
Conséquences immédiates
Le marché a réagi brutalement : l’action Playtech, cotée à Londres, s’est effondrée de plus de 25 % voire jusqu’à 33 % selon les sources, après la révélation publique de son rôle. Pour les analystes, ce choc boursier est plus qu’un coup : c’est le signal d’alarme d’une industrie entièrement exposée. Mais l’impact dépasse la seule valeur des actions : l’affaire pose la question de l’éthique dans un secteur déjà mal perçu.
Du côté des régulateurs, cette affaire relance les contrôles. L’UK Gambling Commission avait déjà entamé en décembre 2024 une revue de la licence d’Evolution pour avoir possiblement fourni des jeux à des opérateurs non autorisés. L’enjeu est de taille : si un acteur majeur comme Playtech est impliqué dans une campagne de surveillance ou espionnage industriel, alors tout le secteur doit s’interroger sur ses pratiques.
La bataille se poursuit, et la confiance des parties prenantes peut vaciller.
Vers un jeu d’ombre long-terme : litiges et enjeux réglementaires
L’affaire n’est pas près d’être close. Evolution a annoncé qu’elle ajoutera officiellement Playtech comme défendeur dans sa plainte en diffamation avec Black Cube et le cabinet d’avocats. Le procès devrait se prolonger jusqu’en 2026.
Le dossier met en lumière un phénomène peu fréquent : l’usage d’une agence d’espionnage privée pour mener une enquête contre un concurrent, dans un secteur réglementé.
Pour Playtech, la position est délicate : défendre la légitimité de l’enquête tout en assumant les conséquences sur son image et sa valeur marchande. Pour Evolution, l’enjeu est de se défendre d’allégations qu’elle affirme fausses et de restaurer sa réputation.
L’histoire entre Playtech et Evolution n’est pas une simple querelle d’entreprises rivales. C’est l’illustration d’un virage de l’industrie du jeu en ligne : où l’on mêle espionnage, affaires judiciaires, régulation et marchés financiers. La lumière braquée sur cette affaire peut être salutaire pour tout un secteur. Encore faut-il qu’elle fasse réfléchir – et changer. Pour l’instant, l’attente est à l’audience, aux règlements et aux conséquences. Et, dans ce jeu d’ombres, les vainqueurs ne sont pas encore connus.