Depuis plusieurs mois, la Northern Territory Racing and Wagering Commission (NTRWC), l’autorité principale chargée de la régulation des paris en ligne en Australie, est au cœur d’accusations préoccupantes de faiblesse dans le contrôle, conflits d’intérêts et liens étroits avec les opérateurs qu’elle est censée superviser.
Des liens personnels et professionnels troublants
La NTRWC délivre des licences à plus de 40 opérateurs en ligne, parmi lesquels Sportsbet, Ladbrokes ou Bet365, et assure de facto la régulation nationale des paris en ligne.
Or, une enquête menée par l’émission Four Corners de l’ABC a mis en lumière des comportements jusqu’ici moins visibles : des commissaires de la NTRWC possèdent ou co-possèdent des chevaux de course, un acte initialement interdit par la loi de création de la commission, mais rendu possible après des modifications législatives.
Alastair Shields, président de la commission depuis 2018, n’est pas épargné. Il a admis accepter des formes d’accueil offertes par des bookmakers et entretenir un compte de pari personnel sur Sportsbet. Lorsque les journalistes tentent de savoir comment il gère ses heures de travail ou pourquoi certaines plaintes prennent du temps à être traitées, il reste muet.
Un autre sujet de préoccupation : la transparence. La NTRWC, malgré sa taille et son rôle accru dans un secteur en pleine croissance, n’a pas publié de rapport annuel depuis 1993.
Quand les critiques se font pressantes
Tandis que les dommages liés aux jeux d’argent en Australie atteignent des niveaux records, la critique se durcit. Le pays affiche l’un des taux de pertes de jeu par habitant les plus élevés au monde.
Des voix politiques comme celle du député indépendant Andrew Wilkie dénoncent un régulateur inutile. De leur côté, les associations de défense des usagers s’interrogent : comment un pays confronté à une crise des paris compulsifs peut-il reposer sur un organisme partiel, sous-dimensionné, et parfois imbriqué dans l’industrie qu’il doit contrôler ? Lauren Levin, figure de la campagne pour la réforme, rappelle que l’objectif initial de la commission n’était pas tant la protection des consommateurs que le développement de l’industrie des courses et des paris.
Le constat chiffré s’avère alarmant : selon l’ABC, dans environ deux tiers des 170 décisions rendues depuis 2017, aucun manquement n’a été retenu contre les opérateurs. Aucun bookmaker n’a jamais vu sa licence suspendue ou retirée.
Défense et justification : le camp des opposants au changement
Les critiques ne restent pas sans réponse. Du côté des organisations de l’industrie, certaines estiment que le régulateur remplit ses obligations. Kai Cantwell, directeur de Responsible Wagering Australia, assure que la commission offre des protections solides aux consommateurs et possède une compréhension poussée de l’environnement en ligne dans lequel évoluent les bookmakers.
L’État du Northern Territory a confirmé qu’il examinait les allégations de conflits d’intérêts au sein de la commission, bien qu’il ait refusé de faire des commentaires plus détaillés.
Quelles réformes pour restaurer la confiance ?
À mesure que la pression monte, plusieurs pistes de réforme sont évoquées. L’une des premières serait de renforcer l’indépendance institutionnelle de la NTRWC, peut-être en imposant des incompatibilités plus strictes : plus de liens financiers directs ou indirects avec les opérateurs, suppression des fonctions à mi-temps pour certains postes de commissaire, publication régulière de rapports publics. La transparence et la reddition de comptes apparaissent comme des leviers essentiels.
Une autre proposition est de renforcer les sanctions : jusqu’à présent, aucun opérateur n’a vu sa licence suspendue ou retirée, ce qui trouble ceux qui croient que la régulation doit comporter des conséquences réelles pour manquement. Le recours à des enquêtes indépendantes pourrait aussi être envisagé pour restaurer la confiance du public.
Le dilemme fondamental
La question centrale demeure : un régulateur peut-il rester crédible s’il est si proche de ceux qu’il régule ? Lorsque des commissaires possèdent des chevaux, lorsqu’un président accepte des privilèges ou pratique lui-même les paris, le risque est double : celui d’une tolérance excessive envers l’industrie, et celui d’un affaiblissement du rôle protecteur envers les citoyens les plus vulnérables.
Le débat ne se résume pas à des questions institutionnelles : il touche aux valeurs, à l’équilibre entre développement économique et responsabilité sociale, entre liberté de jeu et protection des personnes.