En Suède, la fiscalité du jeu est devenue l’un des débats publics les plus intenses du paysage réglementaire. Une proposition visant à introduire des taux de taxe différenciés selon les types de jeux a ravivé un bras de fer entre le gouvernement, les opérateurs licenciés et les défenseurs de la protection des consommateurs.
Le point de départ : une fiscalité uniforme remise en question
Depuis la réouverture du marché régulé en 2019, la Suède applique une taxe uniforme de 22 % sur le revenu brut des jeux (GGR) pour tous les opérateurs licenciés, qu’il s’agisse de paris sportifs, de courses hippiques ou de casinos en ligne. Cette règle, conçue pour garantir une certaine simplicité et stabilité, est aujourd’hui remise en question.
Mais certains acteurs – plus particulièrement l’opérateur étatique de paris hippiques ATG – estiment que tous les segments ne se valent pas et que la fiscalité devrait mieux refléter les réalités du marché. Selon eux, une taxation différenciée permettrait de reconnaître que certains jeux présentent des taux de canalisation plus élevés et génèrent moins de pression concurrentielle de la part d’opérateurs non licenciés.
Taxe différenciée : une solution ou un risque ?
L’idée de différencier les taux de taxe n’est pas nouvelle, mais elle prend aujourd’hui une ampleur inédite en Suède. L’objectif : diminuer la pression fiscale sur des segments jugés sains comme les paris hippiques, tout en augmentant celle des segments les plus soumis à la concurrence internationale, comme les casinos en ligne. Une proposition qui s’inspire des récents ajustements fiscaux au Royaume-Uni.
Concrètement, ATG propose de ramener la taxe sur les paris hippiques à 18 % tout en augmentant celle des casinos en ligne à 26 %. Pour ses défenseurs, cette approche serait plus juste et permettrait de soutenir les acteurs fortement intégrés à l’économie nationale, comme le secteur équestre.
Mais cette vision n’est pas partagée par tous. Le 15 décembre 2025, une lettre conjointe signée par treize dirigeants de grands opérateurs suédois a été adressée au ministère des Finances. Parmi eux figurent des noms bien connus du secteur, tels que les patrons de Betsson, Entain et LeoVegas. Ces dirigeants appellent le gouvernement à rejeter fermement l’introduction d’une taxation différenciée.
Leur argument : une telle réforme menacerait la canalisation des joueurs vers le marché régulé, élément fondamental de la politique suédoise visant à limiter les risques associés au jeu en ligne. Les opérateurs soulignent que les taux de canalisation sont déjà très variés selon les segments : presque 99 % pour les paris hippiques, mais seulement autour de 80 % pour les casinos en ligne. Renforcer encore la fiscalité sur ces derniers pourrait donc, selon eux, accentuer le défaut de canalisation plutôt que le corriger.
Au-delà de la seule question de la compétitivité, les opposants à la réforme s’inquiètent de l’impact sur la protection des joueurs et sur la capacité des opérateurs à financer des dispositifs de prévention et de conformité. Selon eux, une pression fiscale accrue sur certains segments réduirait les marges, ce qui pourrait conduire à une diminution des investissements dans des outils de jeu responsable ou dans la lutte contre la dépendance.
Un débat plus large sur l’objectif de la fiscalité
Les défenseurs d’une taxe différenciée estiment qu’un traitement fiscal adapté peut encourager certaines pratiques plus saines ou soutenir des activités intégrées au tissu économique local. À l’inverse, ses détracteurs craignent qu’il ne s’agisse d’une manœuvre qui, sous couvert d’efficacité, finit par fragmenter le marché régulé.
Une autre dimension du débat dépasse même les frontières nationales : certains experts évoquent le risque que des règles trop spécifiques puissent entrer en conflit avec les normes européennes en matière d’aides d’État. Par exemple, accorder un avantage fiscal à une entreprise dominante sur un segment donné pourrait être interprété comme une aide illégale selon le droit de l’Union européenne.
Quelle suite pour la Suède ?
À ce stade, le gouvernement suédois n’a pas encore pris de décision finale. La controverse, déjà intense, illustre la complexité de concilier objectifs économiques, protection des consommateurs et stabilité réglementaire dans un marché du jeu en pleine évolution.
Les prochaines étapes dépendront largement des arbitrages politiques qui seront faits à Stockholm, mais aussi des pressions exercées par les acteurs du marché et les institutions européennes.