Enfants et jeux d’argent : une réalité inquiétante
Ils s’appellent Raphaël, Inès ou Yanis. Ils ont 15, 16, parfois 17 ans. Et déjà, certains grattent des tickets dans la cour du lycée ou parient en ligne sur le résultat d’un match de Ligue 1. Pourtant, la loi est claire : les jeux d’argent sont interdits aux mineurs.
Mais les chiffres, eux, sont implacables : plus d’un tiers des jeunes de 15 à 17 ans ont déjà joué à des jeux d’argent, selon la dernière étude sur le sujet. Et ce, malgré des règles censées empêcher cette dérive. Une tribune parue le 1er juillet dans Les Échos, signée par un collectif de structures publiques et associatives, tire la sonnette d’alarme : le jeu s’installe comme une norme, presque une tradition, dès l’adolescence.
Des cadeaux empoisonnés : quand les adultes offrent des jeux
Le paradoxe est frappant. 94 % des Français considèrent les jeux d’argent comme une activité risquée pour les enfants. Pourtant, un quart d’entre eux admettent avoir déjà offert des jeux de grattage à des mineurs.
Ce constat dérange. Il met en lumière un double discours social : d’un côté, la conscience du danger ; de l’autre, une banalisation dans les gestes du quotidien. Pourquoi un tel écart ? Est-ce une simple méconnaissance, ou un aveuglement collectif ?
Une industrie florissante, un cadre trop permissif
Le succès commercial des jeux d’argent ne se dément pas. En ligne comme dans les points de vente physiques, le secteur prospère. Les campagnes publicitaires vantent la chance, l’adrénaline, le frisson de la mise. Et souvent, elles ciblent, même indirectement, un public jeune.
Le collectif de signataires appelle à contraindre davantage la publicité, notamment en interdisant les spots liés au jeu avant, pendant et après les grands événements sportifs. Une mesure similaire existe déjà pour d’autres produits sensibles comme l’alcool.
Un enjeu de santé publique trop peu reconnu
Le jeu excessif peut rapidement devenir pathologique. Et chez les jeunes, le danger est amplifié par la plasticité cérébrale, l’impulsivité, et la quête identitaire. Les experts veulent retarder autant que possible la première rencontre des jeunes avec les jeux d’argent, comme on le fait déjà pour le tabac ou l’alcool.
Parmi les mesures proposées :
- Fixer un plafond de mises et de pertes pour les 18-25 ans
- Renforcer les contrôles dans les points de vente
- Sensibiliser le sport amateur aux risques de l’exposition au jeu
- Mobiliser les volontaires du Service Civique pour faire de la prévention dans les collèges et lycées
Vers une prise de conscience collective ?
Ce texte, signé par l’ANJ, l’ARPEJ (Association de recherche et de prévention des excès du jeu), la Fédération Addiction, le Département de la Seine Saint-Denis, l’Unaf (Union nationale des associations familiales), la Ligue de l’Enseignement et l’Observatoire de la Parentalité, n’est pas qu’un cri d’alarme. C’est aussi une invitation à agir, et vite.
La banalisation du jeu d’argent s’est faite insidieusement. Mais le réveil pourrait être brutal. En s’appuyant sur les signaux déjà visibles, les auteurs appellent à un sursaut. Car comme ils le rappellent en conclusion :
“N’attendons pas un problème majeur et létal de santé publique pour changer en particulier les représentations idéalisées associées aux jeux d’argent. Agissons ensemble et maintenant!”
Une société complice malgré elle ?
Comment expliquer que ce phénomène, pourtant si préoccupant, reste aussi peu discuté dans l’espace public ? Peut-être parce qu’il ne fait pas de bruit. Pas encore.
Le jeu, lorsqu’il devient addiction, détruit en silence : isolement, dettes, troubles psychiques. Chez un jeune, les conséquences peuvent être dévastatrices et durables. Et c’est tout l’environnement familial, scolaire et social qui est touché.
Il est temps de repenser les représentations autour du jeu, souvent perçu comme anodin, voire ludique, alors qu’il recèle un potentiel addictif comparable à celui de nombreuses substances.
La tribune publiée dans Les Échos est un appel à l’action. Un appel à reprendre le contrôle, à remettre des garde-fous, et à engager un débat national sur la place que notre société accorde au jeu et à la protection de ses enfants.
Parce qu’un ticket à gratter ne devrait jamais être une porte d’entrée vers l’addiction.