Sky Bet accusé d’avoir manipulé un joueur vulnérable
En 2018, Sam (nom changé), un joueur compulsif britannique, plongeait chaque jour un peu plus dans l’abîme des jeux d’argent en ligne. Après avoir contracté des dizaines de prêts et vécu une profonde dépression, il se retrouvait à nouveau piégé par une publicité apparemment anodine envoyée par Sky Betting & Gaming.
Un marketing ciblé et insidieux
À première vue, l’e-mail envoyé par Sky Bet semblait être une offre comme une autre : un bonus de 100 £ pour un dépôt de 400 £. Mais, pour Sam, cet e-mail n’était pas simplement une promotion : c’était un piège. Il était déjà en proie à une addiction au jeu, incapable de résister à ces messages incessants.
“Je n’étais pas en mesure de les ignorer. Ils avaient un pouvoir sur moi,” confie-t-il.
En l’espace de deux ans, il reçut plus de 1 300 e-mails de Sky Betting, soit un peu plus de 3 e-mails par jour en moyenne, qu’il ouvrait systématiquement. Le ciblage était si précis qu’il devenait impossible de s’en détacher.
Ce type de marketing, basé sur des données personnelles récoltées de manière agressive, a été dénoncé par un juge de la Cour supérieure du Royaume-Uni comme étant illégal. Sam, bien que ne s’étant pas explicitement désinscrit des offres, n’était pas en état de consentir à un tel profilage. Selon la juge, il n’était pas en mesure de prendre des décisions autonomes à cause de son addiction. Cette décision pourrait faire jurisprudence, modifiant ainsi la manière dont les entreprises de jeux d’argent devront désormais traiter leurs clients à risque.
La Demande de Sam pour Récupérer ses Données Personnelles
Lorsque Sam a pris conscience de l’ampleur de son addiction au jeu et du rôle que Sky Betting avait joué dans l’aggravation de sa situation, il a décidé de récupérer toutes les données personnelles que l’entreprise avait collectées sur lui. En 2018, il a donc soumis une demande d’accès aux données personnelles (SAR) auprès de Sky Betting, en vertu de la législation européenne sur la protection des données (RGPD), espérant ainsi mieux comprendre comment ses informations avaient été utilisées pour alimenter sa dépendance.
Au début, Sky Betting a répondu de manière évasive, suspendant même son compte après qu’il ait posé des questions considérées comme « inhabituelles ». Cette réaction a inquiété Sam, qui pensait que ses démarches pour obtenir des réponses avaient été perçues comme suspectes par l’entreprise. Cependant, après plusieurs échanges, Sky Betting a finalement accepté de lui fournir des documents détaillant l’étendue des données qu’ils avaient collectées.
Des données personnelles utilisées pour manipuler
La réponse qu’il reçut fut un véritable choc. Sam découvrit que l’entreprise et ses partenaires avaient accumulé des centaines de milliers de morceaux d’informations sur lui, en analysant non seulement ses habitudes de jeu, mais aussi ses comportements en ligne. Ces données incluaient des informations sur ses jeux préférés, ses habitudes de dépôt, les moments où il jouait, les promotions auxquelles il répondait, ainsi que des éléments de localisation géographique.
Ce n’était pas tout : Sam apprit également que ces informations avaient été partagées avec plusieurs tiers, notamment des géants de la publicité comme Facebook et Google, mais aussi des entreprises de profilage spécialisées. Cela lui donna l’impression d’avoir été constamment surveillé et manipulé par un système qu’il ne contrôlait pas, renforçant l’idée qu’il avait été pris dans un piège marketing conçu pour l’empêcher d’échapper à l’addiction.
“Je me suis dit : eh bien, s’ils avaient toutes ces données sur moi, pourquoi ne les ont-ils pas utilisées pour mieux me protéger ?” s’interroge Sam, désabusé.
La prise de conscience fut encore plus amère lorsqu’il réalisa que malgré la richesse des informations dont disposait Sky Betting sur son profil, aucune alerte n’avait été lancée pour identifier son état de vulnérabilité. Au lieu de cela, l’entreprise l’avait classé comme un « client à forte valeur » et l’avait ciblé de manière encore plus agressive. Sam ne pouvait s’empêcher de se demander pourquoi ses données n’avaient pas été utilisées pour lui offrir de l’aide, au lieu de favoriser ses pertes financières.
Les documents révélèrent une réalité glaçante : alors qu’il luttait contre une dépendance de plus en plus profonde, les stratégies de Sky Betting ne faisaient qu’exacerber la situation. Au lieu de voir en lui un individu en détresse, l’entreprise l’avait vu comme une cible commerciale, et cela avait conduit à des choix marketing qui ont intensifié son addiction, comme des offres personnalisées qui semblaient impossibles à ignorer.
L’examen de ses données et de la manière dont elles avaient été utilisées dans un objectif purement commercial a marqué un tournant pour Sam. Pour lui, il ne faisait aucun doute que cette exploitation excessive de ses informations personnelles, sans égard pour son bien-être, était un acte illégal. Le système mis en place par Sky Betting ne visait qu’à maximiser ses profits, en négligeant de protéger un client manifestement en difficulté.
Dans l’optique de rendre public ce qui lui était arrivé, Sam espérait que son combat juridique ouvrirait les yeux du public et des régulateurs sur les pratiques prédatrices des géants du pari en ligne. En réclamant ses données, il n’avait pas seulement cherché des réponses sur son propre cas, mais aussi mis en lumière une méthode qui, selon lui, rendait les opérateurs de jeux de hasard complices de l’aggravation des souffrances des joueurs vulnérables.
Une entreprise complice ou aveugle ?
Le cas de Sam soulève une question fondamentale : comment une entreprise peut-elle récolter autant d’informations sans se rendre compte de la gravité de la situation de ses clients ? Sky Betting, qui a été racheté en 2020 par Flutter, a déclaré qu’elle « désapprouvait fondamentalement » le jugement et envisageait de faire appel. L’entreprise se défend en affirmant qu’elle a mis en place des mesures de protection des joueurs.
Cependant, les experts estiment que cette décision pourrait être un tournant pour l’industrie du jeu. Selon Ravi Naik, avocat de Sam, ce jugement pourrait marquer la fin de pratiques abusives telles que le “consentement par case à cocher” et la surveillance de masse des comportements des joueurs. Des pratiques qui, selon lui, ont conduit à l’aggravation de l’addiction de son client.
Les enjeux de cette décision pour l’avenir de l’industrie
L’industrie des jeux d’argent est sous pression croissante, avec des appels de plus en plus nombreux à la régulation des publicités ciblant des joueurs vulnérables. En 2022 et 2023, la Gambling Commission a imposé de nouvelles règles obligeant les opérateurs à mieux identifier et protéger leurs clients à risque. Toutefois, la question demeure : pourquoi ces pratiques ont-elles été tolérées pendant si longtemps ?
Les critiques s’accumulent également contre l’utilisation des données pour exploiter les vulnérabilités des joueurs. Charles Ritchie, de l’association Gambling with Lives, dénonce cette exploitation systématique des faiblesses humaines.
Pour lui, “les opérateurs utilisent des données et des algorithmes pour cibler les personnes les plus incitées à jouer alors qu’ils devraient utiliser ces données pour intervenir de manière significative.”
Un espoir pour la protection des joueurs vulnérables
Aujourd’hui, Sam se dit “totalement justifié” par ce jugement. Il espère que ce dernier servira de signal d’alarme pour les régulateurs et les entreprises du secteur, afin que des mesures plus strictes soient prises pour protéger les joueurs les plus vulnérables.
“J’ai perdu 10 ans de ma vie à cause du jeu. Je crois que moi – et beaucoup d’autres – aurions dû être mieux protégés,” conclut-il.