Dons sacrés, dépenses profanes : L’affaire du moine
Le Wat Rai Khing, l’un des temples les plus respectés de Thaïlande, est au cœur d’un scandale retentissant. Son abbé, Phra Dhammavajiranuvatara, est accusé d’avoir détourné plus de 300 millions de bahts (environ 8 millions d’euros) des fonds du temple pour alimenter une dépendance au jeu en ligne, notamment au baccarat.
Une enquête approfondie mène à l’arrestation
L’enquête a débuté après des signalements de mouvements financiers suspects sur les comptes du temple. Les autorités ont découvert que des fonds destinés aux activités religieuses étaient transférés vers des comptes personnels, puis utilisés sur des plateformes de jeu en ligne illégales. Le 16 mai 2025, la Cour criminelle a émis un mandat d’arrêt contre l’abbé, qui s’est ensuite rendu volontairement aux autorités. Il a été inculpé de corruption et de détournement de fonds.
Un réseau de complicité mis au jour
Les investigations ont révélé que l’abbé aurait ordonné au comité de gestion du temple de transférer des fonds vers son compte personnel. Une partie de cet argent aurait ensuite été envoyée à une courtière en jeu, identifiée comme Aranyawan, pour être créditée sur des comptes de jeu en ligne. Cette dernière a été arrêtée à Pattaya après que les enquêteurs ont tracé un transfert de 100 millions de bahts (2,7 millions d’euros) depuis le compte du temple vers le sien.
Le bouddhisme en Thaïlande : Une institution au cœur de la société
En Thaïlande, le bouddhisme Theravāda n’est pas simplement une religion ; c’est le fondement spirituel, culturel et moral de la nation. Pratiqué par environ 95 % de la population, il façonne les rites sociaux, les valeurs collectives et le quotidien des Thaïlandais. Les temples ne se limitent pas à leur fonction religieuse : ils jouent un rôle central dans la vie des communautés, notamment en tant que centres de rassemblement, lieux d’enseignement et espaces de refuge moral et psychologique.
Les dons faits aux temples sont un pilier de la pratique religieuse bouddhiste en Thaïlande. Donner de l’argent, de la nourriture ou des objets au temple est considéré comme un acte sacré. Selon la croyance bouddhiste, cet acte contribue à améliorer son karma, à effacer les fautes passées et à garantir une meilleure existence dans la vie future. Ces dons sont faits dans une confiance absolue, sans exigence de retour ni de contrôle, car ils sont censés servir à la perpétuation du dharma, à l’entretien du temple, et au soutien de la communauté monastique.
Toute violation de cette confiance — notamment lorsqu’un moine détourne ces fonds sacrés à des fins personnelles ou illégales — est perçue comme un acte de profanation morale. Elle touche à l’essence même du pacte implicite entre les fidèles et l’institution religieuse.
Quand le sacré est souillé par le jeu
L’accusation portée contre l’abbé du Wat Rai Khing résonne bien au-delà d’un simple fait divers. Il ne s’agit pas uniquement d’un moine ayant cédé à une addiction personnelle ; c’est une figure spirituelle de premier plan soupçonnée d’avoir détourné des millions issus des dons des fidèles pour assouvir une passion pour le jeu en ligne. Ce comportement, incompatible avec les vœux monastiques, constitue une trahison profonde aux yeux de la communauté. En détournant l’argent des dons, il n’a pas seulement enfreint la loi, il a brisé un lien de foi entre le peuple et l’institution religieuse qu’il représentait.
Des répercussions sur la communauté bouddhiste
La gestion financière des temples en Thaïlande repose en grande partie sur la confiance et l’autonomie. Les moines, notamment les abbés, ont souvent un contrôle quasi total sur les fonds reçus par leur institution, et peu de mécanismes de surveillance externes sont en place. Cette gestion basée sur l’honneur religieux et la vertu supposée des clercs montre ses limites lorsqu’un cas de dérive survient. À la suite de plusieurs scandales récents, dont celui-ci n’est que le dernier en date, de nombreuses voix s’élèvent en faveur d’une réforme en profondeur de la gouvernance monastique. Entre 2017 et 2020, plusieurs enquêtes ont révélé des abus de subventions gouvernementales par des responsables religieux. Ces affaires ont ébranlé la confiance des fidèles et ont conduit à des réformes visant à améliorer la gouvernance des institutions bouddhistes.