Étude : Quand les jeux vous manipulent en coulisses
Depuis quelques années, la question de l’influence comportementale dans le secteur des jeux d’argent gagne en visibilité. Et la Kansspelautoriteit (Ksa) vient de franchir une étape majeure : elle publie un rapport d’enquête sur la manière dont les opérateurs de jeux manipulent subtilement le comportement des joueurs en ligne.
De l’observation au rapport : comment l’enquête a été conduite
L’enquête a été réalisée par un institut de recherche, Behavioural Insights, mandaté par la Ksa. Son objectif : examiner les techniques concrètes que les opérateurs utilisent pour influencer le comportement, parfois de façon subtile, et repérer les parcours à haut risque.
Les chercheurs ont analysé des plateformes de jeux en ligne, les interfaces, les feedbacks aux joueurs, les options d’auto-exclusion et de pause, et plus encore. Ils ont comparé ces pratiques à des techniques marketing classiques, comme celles des sites de e-commerce, où l’on encourage la consommation par des relances, incitations visuelles ou récompenses progressives.
Le rapport distingue plusieurs types d’influence :
- des feedbacks sur le comportement de jeu (par exemple : “vous avez joué plus que d’habitude”)
- des incitations à augmenter les mises
- des mécanismes de relance après une pause ou un arrêt
- des interventions pédagogiques ou d’alerte destinées à limiter les excès
Même si certaines de ces interventions sont potentiellement bénéfiques (comme des alertes ou des suggestions de pause) le rapport insiste : certaines méthodes vont trop loin et peuvent accroître les risques de jeu compulsif.
Ce que le rapport révèle : défaillances du devoir de diligence
L’un des constats les plus frappants est la disparité entre ce que la loi exige des opérateurs et ce qui est réellement pratiqué. La Ksa impose en effet un devoir de diligence aux opérateurs de jeux d’argent : ils doivent surveiller le comportement des joueurs, détecter les profils à risque et intervenir.
Or, en pratique, cette surveillance est souvent insuffisante : certains opérateurs ne peuvent pas analyser les comportements en temps réel, d’autres n’agissent que tardivement, et certains outils d’intervention sont trop généraux pour avoir un effet réel sur les joueurs à risque.
Ainsi, des signaux d’alerte peuvent rester invisibles jusqu’à ce que le joueur soit déjà en phase de dépendance. Le rapport évoque clairement la domination des intérêts commerciaux sur la protection des joueurs.
Michel Groothuizen, président de la Ksa, le formule clairement : “À la Ksa, nous comprenons que les fournisseurs en ligne, tout comme les autres entreprises commerciales, observent ce que font les utilisateurs de leurs plateformes et cherchent à orienter leurs actions à leur avantage. Grâce à cette étude, nous comprenons mieux comment ils procèdent et pouvons donner davantage d’indications sur les pratiques négatives et les éléments que nous ne souhaitons plus voir.”
Le marché sous tension
L’enquête arrive à un moment où le marché du jeu en ligne néerlandais est en pleine expansion. Depuis l’ouverture légale aux opérateurs ayant une licence valide, le nombre de joueurs a explosé.
Pourtant, derrière cette croissance se cachent des signaux inquiétants : les mécanismes de protection ne suivent pas le rythme, les outils d’intervention varient grandement d’un opérateur à l’autre, et les mécanismes de feedback sont parfois conçus pour encourager la dépense plutôt que la retenue.
Le rapport souligne que 70 % des joueurs en ligne sont des nouveaux venus depuis la légalisation. Cela implique un défi de taille : protéger des profils novices, plus vulnérables aux impulsions et aux incitations psychologiques. Peu de mécanismes actuels semblent adaptés à ce défi.
Vers de nouveaux standards : ce que réclame la Ksa
Fort de ces constats, la Ksa ne se limite pas à exposer les problèmes. Elle annonce le lancement d’un nouvel examen interne destiné à cerner les effets négatifs de l’influence comportementale et à vérifier si les opérateurs respectent leur devoir de diligence.
Ce qui se joue maintenant, c’est une possible révision des lignes directrices : les pratiques jugées abusives pourraient être proscrites, et les sanctions renforcées pour les opérateurs qui ne parviennent pas à détecter les joueurs à risque ou qui exploitent les biais cognitifs à des fins lucratives.
L’enquête de la Ksa révèle que les opérateurs de jeux en ligne ne se contentent pas d’offrir un service neutre : beaucoup usent de techniques sophistiquées pour orienter, inciter et parfois manipuler le choix des joueurs. L’écart entre l’obligation de soin exigée par la loi et la mise en œuvre concrète est préoccupant. Le rapport ouvre ainsi la voie à un renforcement des standards, voire à une régulation plus stricte.