Quand les bookmakers nient les dégâts sociaux du jeu en ligne
Au cœur de la bataille en cours entre l’industrie des jeux d’argent et le gouvernement britannique se joue un enjeu majeur : celui des conséquences sociales du pari et du jeu en ligne. Alors que l’État envisage une hausse des taxes sur les produits à haut risque, le Betting and Gaming Council (BGC) interjette et remet en cause la thèse selon laquelle le jeu serait à l’origine de dommages sociaux significatifs.
Pas de problème social : l’opinion choc de la BGC
Lors d’une audition devant la commission parlementaire britannique du Trésor, la patronne de la BGC, Grainne Hurst, a affirmé que le jeu ne provoquait pas de problèmes sociaux. Interrogée par la présidente de la commission, la députée Meg Hillier, qui lui a demandé si elle pensait que le jeu ne causait pas de torts sociaux, Hurst a maintenu son argument tout en précisant que l’industrie prenait des mesures pour réduire les risques des joueurs vulnérables.
Elle a ajouté : “Nous savons que 72 % des clients interrogés dans le cadre de l’enquête de la Gambling Commission zone disent qu’ils le font parce que c’est amusant. Mais le secteur prend à juste titre des mesures supplémentaires pour s’assurer que la petite minorité de personnes à risque atténue ces effets néfastes.”
Ce positionnement a provoqué un vif émoi. Plusieurs députés ont exprimé leur désapprobation, estimant que l’industrie refusait de reconnaître ou de prendre en compte l’ampleur réelle des impacts sociaux du jeu.
Une question de chiffre : emplois, économie, marché noir
L’enjeu derrière ces déclarations est autant économique que social. L’industrie affirme qu’une hausse importante des taxes pourrait mettre en danger des milliers d’emplois et générer un déplacement massif des mises vers le marché non régulé.
Un rapport du cabinet Ernst & Young (EY), commandé par la BGC, modélise les effets de propositions de hausses fiscales présentées par des groupes de réflexion comme la Social Market Foundation ou l’Institute for Public Policy Research (IPPR). Il conclut que jusqu’à 40 000 emplois pourraient être perdus, la valeur ajoutée économique (GVA) chuter de 3,1 milliards de livres sterling, et entre 8 à 8,4 milliards de livres de paris pourraient basculer vers le marché noir.
Hurst utilise ces chiffres pour argumenter auprès du gouvernement : “Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Des dizaines de milliers d’emplois perdus, des milliards détournés vers le marché noir et un possible coup de massue de 3 milliards de livres sterling pour l’économie.”
De son côté, l’État et les associations de régulation rappellent que l’objectif est aussi de limiter les dommages subis par des joueurs vulnérables, de mieux encadrer les pratiques et d’assurer que l’industrie participe pleinement aux coûts sociétaux qu’elle génère.
Focus sur la “petite minorité” et la crédibilité des mesures de protection
Un élément saillant de cette controverse est l’usage par Hurst et la BGC de l’expression “petite minorité” pour qualifier les personnes exposées aux dommages liés au jeu. Ce positionnement est contesté : plusieurs chercheurs et associations de protection des joueurs estiment que ce langage minimise les souffrances vécues.
Certains professionnels du secteur dénoncent un discours de déni, jugeant qu’il ignore ou minimise l’addiction, l’endettement, et les effets en cascade dans les familles. Le fait que l’industrie elle-même souligne des investissements dans la recherche et le soutien aux organisations caritatives n’a pas apaisé le débat.
En effet, dans un rapport interne, la BGC reconnaît la nécessité de travailler sur le préjudice que le jeu occasionne à certaines personnes et, dans le meilleur des cas, de le prévenir complètement. Cela crée un contraste entre des mots de reconnaissance et une posture publique qui minimise les problèmes.
L’audition de la BGC devant la commission du Trésor a mis en lumière un fossé considérable entre l’industrie des jeux d’argent et les autorités politiques et sociales. Alors que l’État cherche à renforcer les taxes et la régulation pour limiter les dommages sociaux, l’industrie plaide en faveur de stabilité, d’emplois et de prévention du jeu illégal. Le ton provocateur de la BGC a déclenché une réaction vigoureuse.

 
		