Europe : nouveau droit pour geler les avoirs des casinos
Dans un contexte où l’industrie du jeu en ligne évolue à grande vitesse, un bouleversement juridique majeur se profile : la possibilité pour les juges européens de geler les avoirs des opérateurs de jeux de hasard. Cette mesure intervient alors que les questions de régulation, de protection des joueurs et de reconnaissance des décisions judiciaires transnationales se heurtent à des obstacles.
Les faits à l’origine : un litige opposant un joueur et un opérateur
L’histoire commence il y a près de quatre ans, lorsqu’un joueur basé en Autriche remporte un jugement contre un opérateur de jeux en ligne, Mr Green Limited. Cet opérateur exploitait un casino en ligne sans disposer d’une licence valide pour l’Autriche. Le joueur avait perdu 62 878 € et, après un long processus judiciaire, un tribunal autrichien lui a donné raison : l’opérateur devait rembourser cette somme. L’arrêt est devenu définitif en avril 2022.
Mais l’affaire ne s’est pas arrêtée là : l’opérateur a refusé de payer et a cherché à se soustraire à ses obligations. Le joueur a alors demandé un European Account Preservation Order (EAPO), un dispositif permettant à un tribunal européen de bloquer les avoirs de l’entreprise avant que ceux-ci ne soient transférés ou dilapidés. Le tribunal autrichien a alors posé depuis Vienne une question préjudicielle au Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) : un juge peut-il ordonner ce gel quand l’opérateur est basé à Malte et que la législation maltaise ne reconnaît pas forcément les jugements des autres États membres ?
L’avis de l’avocat général de la CJUE
Le 30 octobre 2025, l’avocat général de la CJUE, Nicholas Emilou, a rendu son avis dans ce dossier crucial. Il a estimé que, oui, les juges européens peuvent autoriser un gel d’avoirs (une EAPO) contre un opérateur de jeux, dès lors qu’il existe un risque réel de dissimulation, de transfert ou de fuite des fonds.
Un élément majeur de l’analyse est que la législation maltaise — notamment la loi Bill 55 selon laquelle les jugements étrangers contre les entreprises maltaises ne sont pas automatiquement exécutés — constitue un indice fort de ce risque. En d’autres termes : si l’opérateur basé à Malte peut échapper aux décisions judiciaires étrangères, cela renforce la justification du gel.
Cet avis n’est pas une décision finale mais il oriente fortement la jurisprudence européenne et marque une première étape vers un durcissement de la régulation de l’industrie du jeu.
Pourquoi cette décision est-elle importante ?
Le secteur des jeux en ligne est largement internationalisé : opérateurs basés dans un pays, joueurs dans un autre, licences octroyées dans un troisième. Malte est depuis longtemps un hub pour les casinos en ligne dans l’UE, et sa législation fait l’objet de critiques lorsqu’un opérateur ignore un jugement d’un autre État membre.
En autorisant le gel des avoirs d’un opérateur de jeux, les juges européens renforcent les moyens de contrainte contre les entreprises qui ne respectent pas leurs obligations légales ou contractuelles vis-à-vis des joueurs ou des régulateurs. Cette matérialisation juridique met en lumière plusieurs enjeux :
- La protection des consommateurs : quand un joueur obtient un jugement favorable, le gel des actifs de l’opérateur améliore les chances de recouvrement.
- La régulation du marché : les autorités nationales et européennes gagnent un outil pour sanctionner les opérateurs peu scrupuleux.
- La gouvernance transfrontalière : cela renforce la coopération entre États membres et limite le regulatory-shopping, c’est-à-dire le choix d’un État à la réglementation plus laxiste pour y établir son entreprise.
Le cas de Malte : un enjeu politique et juridique
Une des questions centrales dans ce dossier est la législation maltaise Bill 55 (adoptée en juillet 2023) qui permet aux opérateurs licenciés à Malte de ne pas reconnaître automatiquement les jugements rendus dans d’autres États membres.
Cette disposition a provoqué un vif mécontentement parmi les régulateurs et juridictions d’autres pays membres, notamment aux Pays-Bas. En effet, des joueurs ayant obtenu jugement se trouvent bloqués car l’opérateur maltais refuse d’exécuter le jugement ou de collaborer. Ce qui a poussé la chambre basse des États-Pays-Bas à appeler le gouvernement à agir contre ces pratiques.
Du côté de la Commission européenne, un dossier est à l’étude. L’article note que l’exécutif communautaire a ouvert une enquête pour vérifier si la législation maltaise ne va pas à l’encontre des principes fondamentaux du droit de l’Union (notamment la reconnaissance mutuelle des jugements).
Cette situation illustre le dilemme : d’un côté, l’économie maltaise dépend fortement du secteur du jeu (estimé à environ 10 % de l’économie nationale). De l’autre, l’intégrité du marché unique et les droits des joueurs dans l’UE exigent que des jugements soient respectés et exécutés efficacement.
Un changement de paradigme pour le jeu en ligne
L’éventuelle autorisation par la CJUE pour les juges européens de geler les avoirs des opérateurs de jeu marque un tournant dans la régulation de l’industrie. Elle renforce les droits des joueurs, l’arsenal des régulateurs et l’intégrité du marché unique. L’ère du casino invincible pourrait montrer ses limites.

