Lunapark : des jeux d’adresse aux jeux de hasard
Entre les nombreux manèges installés à la foire de Liège depuis le 5 octobre, divers stands de type lunapark ont pris place. Contre quelques euros on vous promets des peluches et d’autres lots. Cela ressemble fortement à des jeux de hasard, pourtant ils ne sont pas considérés comme tel et donc ne sont pas soumis à la même réglementation. On n’est pas des pigeons, émission bien connue de la RTBF, s’est penché sur la question.
La foire à Liège, l’une des trois plus grandes foires de belgique, c’est le rendez-vous du mois d’octobre à ne pas manquer pour la grande majorité des Liégeois. Entre deux manèges on trouve des stands de nourriture mais également les incontournables stands de jeux “lunapark”. Attirant adultes et enfants avec la promesse de superbe prix en échange d’un peu d’adresse et de quelques euros. Certaines machines à pinces sont remplies de peluches alors que d’autres promettent des téléphones portables à plusieurs centaines d’euros et autres gros lots.
Qui n’a jamais tenté sa chance sur ces machines à pinces, espérant remporter le cadeau tant convoitée ? Derrière ce jeu apparemment simple se cachent des mécanismes psychologiques complexes qui expliquent en grande partie l’attrait qu’il exerce sur les joueurs. Jeu d’adresse ou jeu de hasard ? On n’est pas des pigeons s’est penchés sur ces jeux typiques des parcs d’attraction et autres foires. Bien qu’elles reposent sur des mécanismes similaires aux jeux de hasard, notamment le « presque gain », elles échappent à une réglementation stricte.
Le « presque gain », un leurre bien étudié
L’un des principaux leviers utilisés par les fabricants de ces machines est le concept de « presque gain » ou « near miss » en anglais. Ce phénomène se produit lorsque le joueur est à deux doigts de remporter son lot, mais que la pince relâche l’objet au dernier moment. Cette expérience frustrante, tout en étant proche de la récompense, a un effet puissant sur le cerveau. En effet, elle crée une sensation de quasi-victoire qui incite le joueur à persévérer, convaincu qu’il est sur le point de réussir.
“C’est comme au jackpot quand les deux premiers rouleaux alignent un 7 et que le troisième arrive sur le 7… mais se fige finalement sur un autre numéro. Le joueur se dit : j’ai presque gagné, ça va finir par marcher. C’est fait exprès. Cela incite à continuer. »
Aurélien Cornil, professeur de psychologie à l’Uliège
Les machines à pinces sont conçues pour donner au joueur l’illusion de pouvoir maîtriser l’issue du jeu. En appuyant sur les boutons, il a l’impression d’influencer le mouvement de la pince et d’augmenter ses chances de gagner. Or, la réalité est tout autre. La force de préhension de la pince, la programmation de la machine et la position des objets sont des éléments qui échappent en grande partie au contrôle du joueur.
Ce sentiment de contrôle illusoire est similaire à celui que l’on retrouve dans les jeux d’argent traditionnels comme le poker ou les paris sportifs. Les joueurs ont tendance à surestimer leur capacité à influencer les résultats, en se basant sur leurs compétences ou leurs connaissances. Or, le hasard joue un rôle prépondérant dans ces jeux.
Les machines à pinces exploitent donc des biais cognitifs pour inciter les joueurs à persévérer, même lorsque les chances de gagner sont faibles. Le « presque gain » et le sentiment de contrôle illusoire sont des mécanismes psychologiques puissants qui expliquent en grande partie l’attrait de ces jeux.
Une exception à la loi sur les jeux de hasard
En Belgique, comme dans de nombreux pays, les jeux de hasard sont soumis à une réglementation stricte. Cette législation a pour objectif de protéger les joueurs, de lutter contre l’addiction et de réguler les activités des opérateurs. Les casinos, les jeux en ligne et les loteries sont ainsi soumis à des licences et à des contrôles rigoureux.
Pourtant, les jeux présents dans les parcs d’attractions et les foires, bien que similaires aux jeux de hasard, semblent échapper à cette réglementation. Pourquoi ? La réponse tient à une petite phrase dans la loi : Art. 3 Ne sont pas des jeux de hasard au sens de la présente loi: (…) b) les jeux exploités dans des parcs d’attractions ou par des industriels forains à l’occasion de kermesses, de foires commerciales ou autres et en des occasions analogues;
Selon Magali Clavie, présidente de la commission des jeux, le législateur a estimé que les sommes mises en jeu sur une foire ou dans des lunaparks étaient trop faibles pour les assimiler à des casinos.
Si cette exception peut se justifier pour les jeux traditionnels des foires, la situation est plus complexe avec l’apparition de nouveaux jeux et de nouvelles machines offrant des gains potentiellement élevés, comme des smartphones, des consoles de jeux ou encore des téléviseurs. Cette évolution pose question quant à la pertinence d’une réglementation qui ne tient pas compte de ces nouveaux enjeux.
« Le problème c’est que la notion de « faible mise ou faible gain » n’a pas été définie. Et quand on voit que certains lots sur les champs de foire peuvent dépasser 1000 euros, par exemple sous la forme d’un iPhone, on se dit que le législateur devrait fixer une limite. »
Magali Clavie
Les risques d’addiction
Même si les sommes mises en jeu sont souvent modestes, les mécanismes psychologiques à l’œuvre dans ces jeux peuvent favoriser le développement d’une addiction. Les enfants, en particulier, sont particulièrement vulnérables à ces mécanismes et peuvent développer des comportements compulsifs. Ce sont d’ailleurs les premiers ciblés par ces machines remplies de peluches ou de console de jeux.
Alors est-ce que les lunaparks sont dangereux pour les enfants ? Doit-on leur en interdire l’accès ? Magali Clavie n’en est pas convaincue.
« Dangereux, je ne dirais pas ça, mais il faut expliquer aux enfants que l’on ne va pas dans un lunapark pour s’enrichir mais pour s’amuser. Il faut aussi apprendre à l’enfant à se fixer une limite. Si je décide de jouer pour 10 euros et que je ne gagne rien, j’arrête. Point. Et je ne joue pas jusqu’à ce que je gagne quelque chose. »
Magali Clavie
En attendant une éventuelle évolution de la législation, c’est aux parents de sensibiliser leurs enfants aux mécanismes de ces jeux et de leur apprendre à résister à la tentation.