Réforme explosive du jeu : la loi 56K0230001 divise
La Belgique s’apprête à revoir en profondeur sa législation sur les jeux de hasard. La proposition de loi 56K0230001, déposée à la Chambre, entend moderniser un secteur en pleine expansion, souvent critiqué pour son manque de contrôle et ses risques sociaux. Derrière ce texte se cache une ambition : renforcer la protection des joueurs et doter la Commission des jeux de hasard (CJH) de moyens à la hauteur de ses missions.
Une Commission exsangue face à un secteur en pleine croissance
Depuis plusieurs années, la CJH tire la sonnette d’alarme : son manque de personnel compromet sa capacité à superviser efficacement un secteur désormais dominé par les jeux en ligne et les paris sportifs. En 2025, elle ne compte plus que 32,8 équivalents temps plein, contre 57 prévus dans le plan initial.
Les auteurs de la proposition souhaitent donc porter à dix le nombre minimum de contrôleurs et doubler le nombre de policiers détachés auprès de l’autorité de régulation. Une mesure jugée nécessaire, mais insuffisante selon la CJH, qui plaide pour une autonomie totale en matière de recrutement.
Actuellement, chaque embauche doit passer par le SPF Justice, un goulot d’étranglement qui ralentit considérablement les procédures : jusqu’à deux ans et demi pour recruter un analyste de données.
Un financement à repenser : contributions et fonds bloqués
Autre enjeu majeur : le financement. La Commission est censée s’autofinancer grâce aux contributions versées par les opérateurs. Ces montants couvrent ses frais de fonctionnement et alimentent un Fonds spécifique qui affiche un solde impressionnant de plus de 50 millions d’euros.
Pourtant, ce trésor reste largement inutilisable, car le gouvernement limite son emploi à des dépenses non récurrentes. Une absurdité selon la CJH.
L’inspection des finances partage ce constat et appelle à une solution structurelle : soit augmenter les contributions, soit débloquer le Fonds pour les dépenses prioritaires.
Cafés et machines à sous : la fin du jeu à chaque coin de rue ?
La proposition de loi entend réduire à deux le nombre maximum de jeux automatiques autorisés dans les cafés. Une mesure censée lutter contre la dépendance, mais dont la pertinence interroge.
Plutôt que de limiter les machines, la CJH suggère de restreindre le nombre d’établissements licenciés et d’imposer des conditions plus strictes pour garantir que l’activité de jeu reste accessoire.
En Belgique, on dénombre plus de 4 000 cafés titulaires d’une licence de jeu, dont 812 à Bruxelles.
EPIS : bientôt obligatoire dans les cafés ?
Autre réforme phare : l’extension du système EPIS (Exclusion des Personnes Interdites de Jeux) aux cafés. Ce registre central empêche les personnes fichées de participer aux jeux de hasard.
Aujourd’hui, il s’applique aux casinos, aux salles de jeux et depuis peu, aux librairies. Les cafés font exception. Or, selon la CJH, ce sont justement les lieux les plus accessibles et donc les plus à risque.
La Commission soutient la mesure, mais demande un report de son entrée en vigueur, le temps d’adapter les machines et l’infrastructure technique.
Librairies et paris : vers un numerus clausus contesté
Le texte propose également de plafonner le nombre de licences de paris dans les librairies, une idée louable mais controversée.
Pour la CJH, instaurer un numerus clausus reviendrait à créer des listes d’attente et à figer le marché. Elle préconise plutôt un renforcement des conditions d’octroi : seuls les établissements répondant à des critères stricts de conformité et de responsabilité pourraient obtenir une licence.
Une réforme subtile, mais potentiellement plus efficace pour garantir une offre maîtrisée.
Le débat sur les paiements : la fin des cartes de crédit pour jouer ?
L’article 9 du projet de loi vise à interdire les paiements par carte de crédit dans les jeux de hasard en ligne. Le principe : éviter que les joueurs ne misent de l’argent qu’ils n’ont pas.
Mais cette mesure, déjà partiellement en place, est jugée difficile à appliquer et peu réaliste. La CJH note qu’il est impossible de vérifier si un service de paiement est lié à une carte de crédit, d’autant plus que de nombreux comptes permettent déjà des découverts.
Plutôt qu’une interdiction totale, la Commission propose une alternative plus ciblée : lier le fichier de la Banque nationale (CCP), qui recense les personnes en défaut de paiement, au système EPIS.
Cette idée, déjà évoquée en 2022, consisterait à exclure automatiquement du jeu les personnes ayant des dettes impayées. Une mesure jugée extrême par le gouvernement précédent, qui y voyait une atteinte à la liberté individuelle.
Pourtant, la CJH y voit un outil de prévention efficace, similaire à celui qui s’applique déjà aux personnes en règlement collectif de dettes.

