FDJ United vend Trannel en urgence : scandale dévoilé
En octobre 2024, la FDJ acquiert Kindred pour environ 2,5 milliards d’euros. Avec cette opération, FDJ United devient un acteur majeur du jeu en ligne en Europe, avec un portage de marques iconiques telles qu’Unibet, Maria Casino ou 32Red. Parmi les filiales reprises figure Trannel International Limited, installée à Malte, historique opérateur d’Unibet pour plusieurs pays européens. Mais Trannel était déjà sous le coup de nombreuses procédures judiciaires : le groupe avait opéré sans licence dans pays comme les Pays‑Bas, l’Autriche, l’Allemagne ou la Norvège, exploitant une zone grise entre libre prestation de services et absence de cadre clair. Une enquête du Monde et de CasinoZorgplicht.nl.
Des condamnations et des remboursements massifs
En mars 2025, un tribunal de La Haye ordonne à Trannel de verser 271 301 € à un joueur néerlandais, car ses opérations sans licence rendaient les contrats de jeu nuls et donc les pertes indûment perçues récupérables.
Des jugements précédents ont déjà imposé le remboursement de sommes allant de 38 000 à 106 000 € à d’autres plaignants; on estime aujourd’hui que les coûts potentiels pourraient atteindre entre 200 et 300 millions d’euros.
Dans la majorité des cas, Trannel ne se conforme pas aux décisions judiciaires : réponses tardives, informations partielles, refus de communiquer, recours à une loi locale (Bill 55) pour contester les jugements étrangers.
Même les autorités maltaises en charge du RGPD ont demandé la transmission de données utilisateurs. Malgré l’ordre formel, Trannel n’a pas respecté cette injonction, exposant ainsi les données à un usage illégal.
La Kansspelautoriteit a confirmé au Monde :
“Aucune licence n’a été délivrée pour des jeux de hasard en ligne au cours de la période. Cela pourrait constituer une infraction pénale au regard du droit néerlandais.”
Une revente en urgence
Consciente des risques légaux, la FDJ revend Trannel en moins de trois semaines après la clôture de l’acquisition. L’annonce officielle indique vouloir se retirer des marchés non régulés sans délai. Officiellement, la nouvelle structure (rebaptisée Risepoint Limited) devient seule responsable des litiges en cours.
Cette décision, pourtant mûrie depuis un moment selon l’enquête du Monde et de CasinoZorgplicht.nl, ressemble plus à une opération de confinement qu’à un simple désinvestissement.
Un acheteur douteux : qui est Carlos Strazzer ?
L’acquéreur n’est autre que Carlos Strazzer, entrepreneur brésilien à la tête de Ventures Lab, un groupe complexe basé à Sofia et opérant depuis plusieurs juridictions : Malte, Chypre, Curaçao, Liechtenstein…
Cette structure, jugée opaque, s’appuie parfois sur les cryptomonnaies pour contourner les obligations en matière de lutte anti-blanchiment. Strazzer a refusé de commenter publiquement, tandis que la FDJ invoque son droit à l’opacité quant aux montants et modalités de cette transaction.
Des données clients potentiellement illégales
La base de données de Trannel, transfusée vers Risepoint, contient les données sensibles de milliers de joueurs : identités, documents, habitudes de jeu, transactions… Un trésor numérique très monétisable, mais possiblement collecté sans base légale, puisque les opérations qui l’ont alimenté étaient illégales dès le départ selon le RGPD.
Pour un avocat spécialiste, l’usage commercial de ces données constituerait un délit lui-même et pourrait ramener la FDJ dans le collimateur, malgré la cession.
Le risque de non-renouvellement du permis aux Pays‑Bas
Le régulateur néerlandais surveille attentivement l’ensemble. Deux députés du CDA et SP ont demandé une révision ou le non-renouvellement de la licence d’Unibet, valable jusqu’en 2027, arguant que les manquements passés devraient peser sur le futur de la marque.
Si les autorités constatent que la FDJ a volontairement évité des risques juridiques en revendant Trannel, cela pourrait compromettre sérieusement son implantation aux Pays‑Bas (estimé à 170 millions €/an).
Pour Benzi Loonstein, l’avocat engagée dans ces procès, la revente prématurée de Trannel à Risepoint pourrait relever d’une stratégie dite d’”établissement mouroir” : isoler les actifs risqués dans une entité prête à couler, laissant les créanciers sans recours.
“On ne peut pas acheter une entreprise en disant : ‘je veux les actifs et pas les dettes’. Les tribunaux néerlandais ne s’y tromperont pas, ne l’accepteront pas.”
Perspectives : la FDJ peut-elle s’en sortir ?
La FDJ affirme que Risepoint est désormais seul responsable pour les litiges en cours. Toutefois, si les tribunaux estiment que la cession visait à contourner les dettes ou que le transfert de données était illégal, la FDJ pourrait faire face à une responsabilité indirecte.
D’autre part, une non‑renouvellement de la licence Unibet aux Pays‑Bas paraîtrait comme un choc frontal contre ses ambitions européennes, et le volume annuel de 170 millions d’euros de revenu local serait compromis.
En bref : un Everest de risques juridiques
Ce qui apparaissait comme un simple désinvestissement est en réalité un risque colossal : centaines de millions potentiellement réclamés, licenciement possible aux Pays‑Bas, données personnelles probablement illégales exploitées, et entité acheteuse opaque.
FDJ United devra soigneusement gérer cette crise si elle souhaite que son rêve de champion européen ne vire pas au cauchemar institutionnel.